« Un livre est un grand cimetière où sur la plupart des tombes on ne peut plus lire les noms effacés. Parfois, au contraire, on se souvient très bien du nom, mais sans savoir si quelque chose de l'être qui le porte survit dans ces pages. (Proust, Le Temps retrouvé).
Nous découvrons d'abord le journal de Nao, qui interpelle un éventuel lecteur et parle de sa vie, de son retour difficile au Japon (ses parents sont d'origine japonaise mais elle est naît aux États-Unis), de sa mise à l'index à l'école (ijime), de la dépression de son père, de sa grand-mère. En parallèle une romancière
américaine trouve le journal de Nao sur une plage, accompagné de divers documents, elle commence à lire en même temps que nous et à enquêter sur la famille de Nao, nous suivons donc aussi toutes les réflexions qui lui vienne et les discussions avec son mari et les habitants de l'île où elle vit.
Cette double lecture en alternance se fait sous l'égide de Proust, car le journal de Nao est un livre blanc relié dans la couverture d'un exemplaire d' A la Recherche du Temps Perdu : « Chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. L'ouvrage de l'écrivain n'est qu'une espèce d'instrument optique qu'il offre au lecteur afin de lui permettre de discerner ce que, sans ce livre, il n'eut peut-être pas vu en soi-même. La reconnaissance de soi-même, par le lecteur, de ce que dit le livre, est la preuve de la vérité de celui-ci ». (Proust, Le Temps retrouvé).
L'auteur se met en scène dans son roman, elle s'attache à accorder sa lecture au rythme de ce que vit Nao, cette dernière en devient d'autant plus vivante, fragile, à ses yeux. « Les caractères d'imprimerie sont prévisibles, impersonnels. L'information se fixe de manière quasi mécanique sur la rétine du lecteur ». Alors que l'« écriture manuscrite, elle, résiste, demande du temps pour révéler sa signification, un contact aussi intime que celui d'une peau ».
Lire devient une reconstruction du temps, une réactivation du passé dans le présent. C'est donc le moment présent qui devrait solliciter toute notre attention, car il s'évanouit à mesure qu'il nous fait vivre, et que cette vie contenue dans chaque seconde, seconde où toute vie peut basculer dans le néant s'anime d'un passé qui revit dans les battements du présent, comme les battements d'un tambour, dans ces intervalles de silence qui précèdent le coup d'où jaillit le son. En rencontrant sa grand-mère Nao commence a s'intéresser à la philosophie zen. En jouant avec le mot « now » elle dit : « (…) prononcez-le et tout est déjà fini. Après est déjà le contraire de maintenant. Donc, le fait de dire maintenant anéantit son sens, puisque cela le transforme précisément en ce qu'il n'est pas ». Sa grand-mère lui dit aussi que les événements de notre vie trouve leur source dans le karma, cette « énergie presque imperceptible que vous produisez en faisant, disant ou même pensant simplement quelque chose. Ça signifie que si vous ne faites pas attention et que vous avez trop de pensées négatives, elles reviendront et vous croqueront ».
Toute histoire est l'histoire d'une pensée, la romancière devient une archéologue de l'histoire de Nao et de sa famille, elle utilise un peu le principe philosophique de Collingwood (un re-enactment) : " Quiconque veut savoir si une proposition donnée est vraie ou fausse, pourvue ou dépourvue de signification, doit découvrir la question à laquelle elle était destinée à répondre". L'étude du zen, l'écriture d'un journal ou sa lecture par un autre, tout cela revient à une étude de soi-même dans son propre oubli, ce qui ouvre à un éveil « par toutes les existence ». En accordant sa lecture à la vie de Nao, l'auteur se rend compte que la fin du journal semble s'éloigner sans cesse. L'auteur dit, citant Charles Bennett, qu'« une information quantique ressemble à l'information d'un rêve (…) Nous ne pouvons pas le communiquer aux autres, et si nous tentons de la décrire notre souvenir s'en trouve changé ».
Histoire de femmes
Naoko et Ruth sont deux femmes que tout opposent, Naoko est une adolescente vivant au Japon consignant ses pensées dans un carnet qui va parvenir jusqu'à Ruth, une canadienne d'une quarantaine d'années. A travers les pages du carnet de la jeune japonaise, notre canadienne découvre cette inconnue. Des éléments fantastiques apportent au récit de la profondeur et de l’originalité.