"Dans la vie d'un avocat, il y a des plaidoiries qu'on n'oublie pas. Elles vous obsèdent des mois, vous réveillent la nuit, vous rendent malade puis, vous marquent pour toujours. C'était le 8 février 2007, il a fallu sauter dans le vide. Derrière nous, une salle comble, chauffée à blanc par des débats enflammés ; sur le côté, les représentants de la presse mondiale. Un tribunal est une arène, un théâtre du réel, le cadre de l'Histoire qui s'écrit, mais le sait-on ? Pour ce "procès des caricatures", nous étions passionnés, complices, angoissés, heureux de défendre notre cause.
Charlie Hebdo a gagné contre les intégristes, le droit à l'irrévérence a triomphé, mais les dix années qui ont suivi ont été tragiques. Qui ose encore rire de Dieu, de ses commandements et de ses fanatiques ? La justice a tenu bon mais les menaces, la peur, les morts se sont succédé. Revenir sur ces instants, sur le Droit, les dessins, les textes sacrés et la vertu du rire reste un devoir : la garantie de nos libertés." G.K.
et R.M.
Les 7 et 8 mars 2007 s'est tenu au palais de justice de Paris un procès suivi dans le monde entier : celui des "caricatures". Un an auparavant, Charlie Hebdo avait décidé de publier des caricatures du Prophète Mahomet, accompagnées d'un appel à la lutte contre l'islam radical - ce nouveau mal totalitaire. On voyait en Une le Prophète, débordé par les extrémistes, se tenant la tête entre les mains : "C'est dur d'être aimé par des cons".
Deux jours d'audience agitées, sous haute protection, comme au théâtre de notre démocratie, combattante et menacée. Avec en première ligne, Philippe Val, Elisabeth Badinter, François Hollande, François Bayrou et tant d'autres, défendus par leurs avocats : Georges Kiejman et Richard Malka. Face à eux, des associations réclamant la censure du journal : la Mosquée de Paris et l'UOIF, entres autres. Ce qui se joua, pendant ces deux journées, devant la presse internationale ? Le droit de se moquer des idées, des religions.
Le droit à la caricature. Le droit à l'irrévérence. Le droit au libelle, à l'excès, dans la tradition française du dessin de presse, du libelle révolutionnaire. Le droit à l'ironie salvatrice. Les débats furent âpres, décisifs ; juridiques aussi. Il était temps de rendre aux citoyens deux textes fondateurs - les plaidoiries de Malka et Kiejman - éloges superbes de la liberté de pensée, déconstruisant le totalitarisme en chemin ; moquant les censeurs ; défendant, comme une valeur supérieurement belle, le droit à rire non des êtres mais de leurs idées ; et confiant au lecteur les tendres armes démocratiques pour continuer de rire, d'éveiller, de croire ou de ne croire en rien.
Plus tard, on le sait, Charlie Hebdo titrera "Charia Hebdo", sera incendié, puis connaîtra le drame de janvier 2015, avec son cortège de morts. Le procès de l'année 2007 est historique : comme un noeud, comme la répétition originelle d'un drame qui ne cessa de se répéter.
Une lecture indispensable
Ces quelques pages que nous avons la chance de pouvoir découvrir sont tout autant un coup de coeur qu'un crève-coeur.
Coup de coeur parce que chaque mot, chaque ponctuation est une poésie humaniste.
Que de virtuosité, que d'élégance et de sagacité pour convoquer notre humanité et notre discernement.
Chaque mot devient une note composant une partition musicale, une ode à la tolérance. C'est chantant et troublant. C'est chahutant et bouleversant. C'est implacablement imprégnant.
Crève-coeur au regard des événements qui surviennent moins de 10 ans plus tard.
Crève-coeur de la liberté.
Crève-coeur des coups de crayon matraqués.
Crève-coeur de la rêverie des mains levées plaidant pour la diversité, la richesse et la constructivité de la divergence d'opinion.
Crève-coeur du malentendu et de l'interprétation.
Si personne ne questionne, si l'opinion devient uniforme et conforme ( à qui et à quoi?) alors nous avons la certitude que l'objectivité s'envole, portant sur ses ailes tous nos combats.
Un livre que je remettrais entre les mains de mes enfants tant il me semble incontournable.