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Ils se nomment Marius, Boris, Ripoll, Rénier, Barboni ou M'Bossolo. Dans les tranchées où ils se terrent, dans les boyaux d'où ils s'élancent selon le flux et le reflux des assauts, ils partagent l'insoutenable fraternité de la guerre de 1914. Loin devant eux, un gazé agonise. Plus loin encore retentit l'horrible cri de ce soldat fou qu'ils imaginent perdu entre les deux lignes du front : "l'homme-cochon".
A l'arrière, Jules, le permissionnaire, s'éloigne vers la vie normale, mais les voix des compagnons d'armes le poursuivent avec acharnement. Elles s'élèvent comme un chant, comme un mémorial de douleur et de tragique solidarité, prenant en charge collectivement une narration incantatoire, qui nous plonge, nous aussi, dans l'immédiate instantanéité des combats, avec une densité sonore et une véracité saisissantes.
Un récit concis et dur
Dans son premier roman, Laurent Gaudé nous plonge dès les premières lignes dans l’horreur des tranchées. Donnant tour à tour la parole aux protagonistes, il nous livre des instantanés plus vrais que nature.
Ce livre est composé de cinq chapitres qui débutent et se clôturent par une intervention de Jules, permissionnaire s’éloignant des combats. Si son corps quitte les tranchées, son esprit est aux côtés de ses camarades. Il ressasse ce qu’il a vécu et ne parvient pas à profiter pleinement de cette permission tant attendue. Pourtant ces passages sont comme une bouffée d’air dans la puanteur du front.
Le choix des narrateurs internes et de leurs monologues intérieurs fait penser aux récits de Poilus, lettres ou romans comme « Les croix de bois » de Dorgèles ou « A l’ouest rien de nouveau » d’Erich Maria Remarque. Mais Laurent Gaudé est trop jeune pour avoir connu cette guerre.
Ce n’est pas un récit historique non plus car l’action ne s’inscrit ni dans le temps ni dans l’espace. Nous sommes juste dans les tranchées, du côté français. Il s’agit donc bien d’un récit fictionnel.
Laurent Gaudé nous convie à entendre les cris des blessés, des gazés, ceux des soldats pris dans la tourmente des combats ou hurlant dans leurs cauchemars. Il restitue l’atmosphère, la peur, le froid, la faim, la barbarie et la solidarité ; il se concentre sur les émotions ressenties, vécues et parsème son récit de réflexions sur l’absurdité de cette guerre et de la boucherie que ce fut.
La figure principale de ce spectacle sanglant est sans conteste « l’homme-cochon », personnage mythologique, métaphore des craintes de ces hommes (folie, bestialité, barbarie) ou comme le dit l’un des soldats : « Je crois que c'est la terre qui hurle par cet homme .Je crois qu'il est la bouche hurlante du front qui gémit de toutes les plaies profondes que l'homme lui fait. »
Je retiendrai de ce court roman la concision implacable avec laquelle il nous plonge au cœur de la terreur, cette peur vissée au ventre de chacun, dans un combat où l’homme n’est finalement qu’une marionnette.