« Cher papa, rien de toi ne m’est cher. Ces deux syllabes, pa-pa, se répètent comme un refus. » Cette phrase est dans la première page du livre, juste après l’avertissement, dans le chapitre Lettre au père. En effet, il y a des mots qui sont difficiles à prononcer, lorsque la personne à qui ils sont destinés, ne représente pas ce que leur nom englobe. En ce qui me concerne, c’est « maman » que ma bouche refusait de dire en entier. Alors, on tourne autour et, malgré nous, on cherche à ressembler à l’image que cette personne nous impute. Une bataille se livre entre ce que
nous sommes et ce besoin de correspondre à ce que l’on dit de nous. L’enfant en nous se construit à partir de ce que ses parents disent de lui. Et lorsqu’un parent lui dit « qu’il est une m..., qu’il ne fera jamais rien », il entend ses mots, qui s’ancrent en lui. Il y répond comme il le peut, avec par exemple, des conduites à risques. Lorsqu’il tente de s’opposer à cette image qui n’est pas lui, la lutte est difficile et la dépression peut être une expression de ce combat.
Gilles Paris a connu huit dépressions, la dernière date de 2017, et il s’est relevé huit fois. Il raconte ses tentatives de suicide, ses séjours en hôpital psychiatrique, ses conduites dangereuses et ses rencontres, celles qui apportent la lumière. Il se livre entièrement, avec une sincérité désarmante et touchante à la fois. Il explique que chaque dépression est différente. Tout au long de ma lecture, j’ai pensé que Gilles Paris était très courageux, car il se dévoile sans concessions. Il raconte ses failles et ses forces, il n’a pas peur d’écorner son image publique, en révélant certains de ses actes privés. Cela m’a beaucoup émue. Son récit est tellement empli de sa vérité, que je me suis surprise à espérer qu’il soit lu avec bienveillance.
J’ai, aussi, eu envie d’être auprès de l’enfant et du jeune adulte, qui ont tant souffert de la violence physique et psychologique, de les prendre dans mes bras. Certains passages m’ont bouleversée. J’ai aussi été déstabilisée par ce que ce récit a remué en moi. Il m’a renvoyée à une époque de ma vie, il y a vingt-cinq ans, que j’avais enfouie. Au départ, j’ai souhaité lire ce livre, pour son auteur, je ne pensais pas que le sujet me concernait, j’avais juste omis ce moment de mon existence, pendant lequel j’avais eu besoin de sombrer profondément pour pouvoir remonter. Je me suis retrouvée dans ce message de l’auteur : « Ce ne sont pas les épreuves qui comptent mais ce qu’on en fait ».
Certains cœurs lâchent pour trois fois rien permet de connaître et de comprendre l’homme derrière l’attaché de presse et l’écrivain. Il rappelle que derrière un sourire peut se cacher une souffrance et donne envie d’être attentif aux autres. C’est aussi un récit d’amour : celui qui entoure Gilles et celui qu’il ressent. Le sous-titre est « De l’ombre à la lumière ». Le chemin peut être long et sinueux, cependant, le sentiment qui m’a étreinte, à la fin du livre, c’est l’espoir et l’amour de la vie. La conclusion est remplie de couleurs, d’odeurs, de sons, etc, de lumière.
Combat pour la lumière
De la trentaine à aujourd’hui, soit sur un intervalle de quelque trente ans, l’auteur a surmonté huit dépressions et survécu à une dizaine de tentatives de suicide. Il revient dans ce livre sur ce parcours de vie accidenté, laissant entrevoir quelques pistes d’explication dans son histoire familiale, marquée notamment par le divorce de ses parents et la violence de son père, mais surtout nous donnant à percevoir la terrible lutte qu’il lui a fallu mener, chaque fois, pour s’arracher des ténèbres et retrouver la lumière.
Ce récit n’est pas une autobiographie et n’entre pas dans le détail de ce qui, chez Gilles Paris, a pu lui faire perdre l’équilibre de façon si persistante. Le but n’est pas tant ici d’expliquer les causes, que de faire comprendre, avec la plus grande pudeur et le minimum de bribes de vie personnelle, la réalité de ce trouble revenu régulièrement empêcher le cours de sa vie. Bien sûr, l’on ne peut que rester pétrifié devant tant de souffrance, alors que le texte laisse entrevoir les années folles d’une jeunesse brûlée par les deux bouts, dans l’ivresse du sexe et de la drogue, le vertige d’une vie noctambule débridée débouchant au petit matin sur une solitude hagarde et glauque, puis, à trente-trois ans, l’effondrement, total et incommensurable, le premier séjour en hôpital psychiatrique, le combat de titan pour revenir des abysses, et les rechutes, désespérantes et interminables, étalées sur trois décennies.
De loin, la vie de Gilles Paris ressemble à une succession d’extinctions brutales de la lumière, chaque fois suivies d’une longue et pénible réémergence du néant, des passages de «vie sans magie et sans couleurs» dont il parvient à s’extirper comme à l’issue d’un combat de boxe. Que dire de son courage et de celui de Laurent, son conjoint, pour garder malgré tout le cap d’une vie commune et de la réussite professionnelle, puisque ces épreuves n’ont au final pas empêché l’auteur de mener une carrière dans l’édition et de connaître le succès littéraire avec ses huit romans. Si l’écriture n’a pas pour lui de vertu thérapeutique, nul doute qu’elle s’est nourrie, inconsciemment ou non, de cette vie en forme de montagnes russes, et de l’extrême sensibilité de cet homme brutalisé par la maladie jusqu’au plus profond de son être.
Mes appréhensions initiales face à la thématique très sombre de ce livre se sont évaporées dès les premiers mots, incisifs et bien tournés. Sobre, sincère et courageuse, cette mise à nu ne peut que toucher le lecteur et le faire s’interroger sur les sidérants mystères de notre fonctionnement psychique.