Biographie de Didier Daeninckx
"Et si Didier Daeninckx était une couleur ? " - Ce serait le noir : noir comme les romans policiers qu'il écrit ; noir comme la mort qui entra dans sa vie la nuit du 8 février 1962, quand, au métro Charonne, une amie de sa mère mourut sous les coups des policiers parce qu'elle manifestait contre la guerre coloniale qui ensanglantait l'Algérie ; noir comme l'ombre dont il tire les épisodes tragiques de l'histoire contemporaine ; noir comme les Kanaks de l'île de Lifou qui lui ont raconté comment, en 1931, cent cinq des leurs ont été parqués à Paris, au milieu de crocodiles, pour servir d'attraction à l'Exposition coloniale ; noir comme le visage de Christian Karambeu, dont les deux arrière-grands-pères faisaient partie de ces hommes, femmes et enfants exposés comme des "cannibales français" et finalement échangés contre des crocodiles du zoo de Hambourg...
Didier Daeninckx rencontre la terre de Nouvelle-Calédonie en 1997 : il y a été invité par le directeur de la Bibliothèque centrale, qui veut apporter la culture du livre à toutes les tribus de l'archipel. Il visite alors les cases-bibliothèques et lui, l'écrivain, découvre un peuple dont la culture est essentiellement orale. Le soir, à la veillée, des conteurs lui racontent des légendes, des histoires ; un jour, quelqu'un évoque le triste sort des Kanaks de l'Exposition coloniale de 1931.
Ce drame, que la presse parisienne de l'époque traita comme un simple fait divers, émeut profondément Didier Daeninckx, dont l'histoire personnelle, les choix politiques et littéraires sont marqués par la lutte contre toutes les formes de discrimination. Né à Saint-Denis en 1949, il porte le nom d'une lignée de déserteurs que l'exil conduisit de Gand à Stains et de la boue des tranchées à la "boue des banlieues" .
Du côté maternel, il descend de cheminots militants communistes ; sa mère elle-même se bat contre les guerres coloniales et le fascisme. Dans la cour de son école d'Aubervilliers, ses copains sont kabyles, africains. Et quand, dans les années 1960, il abandonne un travail d'imprimerie pour voyager, il va à la rencontre des hommes du Maghreb, du Moyen-Orient et de Cuba. Depuis qu'il est devenu écrivain, son travail ne cesse de croiser ce qu'il appelle sa "romance familiale" et le nom d'hommes, de lieux que l'histoire de France aurait parfois voulu oublier, voire effacer.
Ainsi, quand, en 1998, on lui demande une contribution au cent cinquantième anniversaire de l'abolition de l'esclavage, il rédige une pièce radiophonique intitulée Des Canaques à Paris, dont il reprend le thème pour écrire Cannibale et, ainsi, fixer par écrit un peu de la souffrance du peuple kanak. Car celui qui a dit "Pour moi, c'est une maxime d'écrivain : être un homme contre" ne cesse, en fait, d'écrire pour la mémoire collective.
Colonialisme et ignorance
Ce tout petit livre d’une centaine de pages traite d’un sujet peu connu : l’exposition coloniale de 1931.
Vu l’époque, le colonialisme était encore en vigueur, mais ce que l’on sait moins c’est comment on a fait venir les « participants ».
Gocéné est un jeune homme choisi parmi les jeunes de son village pour représenter son peuple lors de cette exposition. Le gouvernement français leur avait « vendu » cette participation comme une véritable chance pour eux de faire connaitre leur pays aux Occidentaux.
C’est donc confiant dans l’avenir qu’une trentaine de Canaques embarquent vers la France.
Arrivés à Paris, le son de cloche est tout autre : ils sont parqués comme des animaux sauvages, ils doivent assurer le spectacle, grogner comme des bêtes sauvages, marcher et danser nus comme des vers.
Ils apprennent ainsi avec stupeur qu’ils sont considérés en Métropole qu’ils ne sont pas mieux que des sauvages, des cannibales. En voilà une belle attraction.
En peu de pages, Didier Daeninckx nous adresse un tableau effarant des colonialistes et des gouvernants de l’époque, qui échangeaient ses hommes comme de la marchandise sans se préoccuper de leur ressenti ni recueillir un quelconque accord. Demande-ton à l’animal qui se fait conduire à l’abattoir son avis ??? Grands dieux non, il n’est pas capable de penser.
Sous prétexte que l’on vit sur une île, les habitants y sont sous développés et vive pire qu’au Moyen âge.
Heureusement qu’il y avait des hommes et des femmes pour s’élever contre ses pratiques d’un autre temps, même si leurs vies étaient menacés.
Petite anecdote : le grand père de Christian Karembeu faisait partie du contingent choisi pour aller à l’exposition coloniale.
Un roman qui ne laisse pas indifférent et qui nous montre combien le chemin est encore long vers la tolérance entre les peuples.