En cours de chargement...
Anna déteste le foot, Jonas aussi. Jonas adore la littérature ukrainienne, Anna aussi. Elle termine tout juste ses études, lui poursuit sa thèse. Ils aiment débattre, s'agacent, se plaisent, s'intriguent, passent une nuit ensemble. Puis une deuxième. Mais cette fois, ce n'est pas consenti. Anna, du moins, l'affirme. Des mois durant, elle se débat seule avec les conséquences : comment trouver les mots pour décrire et pour comprendre ? que faire quand la colère se meut en rage ? qu'attendre de la société et de son entourage ? Construit comme une enquête, où l'autrice convoque tour à tour les témoins, Ca n'arrive qu'aux autres retrace, parole après parole, parole contre parole, les jours qui ont précédé cette nuit et ceux qui ont suivi.
Les "héros malgré eux" racontent comment leur quotidien bascule - amies, colocs, profs, patrons, frères et soeurs, parents et ex, personne n'est épargné. Le lecteur non plus, qui lit la boule au ventre, comme dans la peau d'un juré. Bettina Wilpert s'attaque à la prétendue zone grise dénoncée par #MeToo, mettant au jour la vérité des êtres. Un roman politique haletant.
Ça n'arrive qu'aux autres
Ce qui se détache de ce livre, ce qui fait qu'on ne dira pas 'un de plus' sur un thème devenu difficile à exploiter tant l'offre est grande, c'est sans doute ce regard d'une remarquable intelligence, cette sincérité ambivalente du recueil de témoignages.
Parce qu’au fond, un viol, de quelque manière qu'il ait été commis, reste un viol. Point. Mais pris dans les tourbillons de nos matins ordinaires et de nos mouvements routiniers, nous avons parfois du mal à le réfléchir dans son entièreté.
Ici, les points de vue sont pluriels, des regards qui ne voient pas tous dans la même direction, des voix qui ne disent pas la même chose. Chaque protagoniste de cette histoire doit faire son chemin, chercher à savoir de quel côté se situe la justice. Ce qui ouvre des perspectives et de changer d'angle de vue.
Le livre de Bettina Wilpert témoigne de notre époque, travaille notre temps, creuse nos zones d'ombres, la face grise d'une société encore bien trop en prise avec la domination masculine.
La culpabilité est là. La colère est là. L'oubli impossible. La honte est là. Le dégoût. Les questions sont multiples. La mémoire est un trauma. Le drame s'inscrit dans le corps.
Avec l'acuité du journalisme d'enquête et la mécanique redoutable du fait divers, Bettina Wilpert signe un grand roman, une épaisse et intime réflexion sur le viol en tant que fait social total.
Étourdissante, posant autant de questions que soulevant nombres d'infamies résiduelles, une lecture qui se fait nécessité, urgence et sirène de rappel.
Du sexisme ordinaire faisons table rase.