“Au rendez-vous des mariniers” n’est ni un roman, ni un essai, ni une biographie, c’est simplement l’histoire d’un restaurant populaire situé au 33, quai d’Anjou dans l’île Saint Louis. Fédéric Vitoux qui vécut toute son enfance dans ce quartier ne se souvenait guère de ce restaurant où l’on calculait l’addition sur une ardoise et comme il l’explique très bien : “Peut-être à la réflexion, ne se souvient-on jamais mieux que ce que l’on n’a pas vécu. Ce sont ces souvenirs-là, indirects, qui sont les plus formateurs – et, qui sait, les plus impudiques”
Vitoux va reconstituer la vie de ce restaurant par petites touches à travers trois périodes qui correspondent à trois propriétaires successifs de 1904 à 1953. D’abord les Lecomte, puis la famille Guerineau, enfin Alma Corréa qui assurera le dernier service en 1953. Mais l’histoire du restaurant ne se limite pas à celle de ses propriétaires même si Vitoux décrit , si l’on peut dire, leurs vies par le menu. Son enquête va l’amener à découvrir que si “Au rendez vous des Mariniers” était bien fréquenté par des mariniers et des blanchisseuses qui travaillaient sur les bateaux-lavoirs, une autre clientèle venait s’attabler dans ce restaurant d’une grande simplicité. L’écrivain Jean de la Ville de Mirmont fauché par la grande guerre, qui n’eut pas le temps d’accéder à la notoriété littéraire à laquelle il aspirait, considérait le restaurant comme un havre où il se réfugiait souvent. Vous auriez pu rencontrer aussi John Dos Passos au début de sa carrière. Hemingway et Dos Passos se rencontrèrent dans ce restaurant où la clientèle parlait fort et buvait sec ce qui ne devait pas déplaire à l’auteur de “Pour qui sonne le glas”. Picasso aussi passa “Au rendez vous des Mariniers” avec son lévrier Afghan, ou encore Drieu La Rochelle qui habitait tout près, sans oublier Aragon son ami qui se brouilla avec Drieu, pour les raisons politiques que l’on sait tout en continuant à le considérer comme l’un des écrivains les plus doués de sa génération. Simenon qui remontait la Seine amarra son bateau sur les quais de l’île et déjeuna souvent “Au rendez vous des Mariniers” avant de repartir. Enfin le poète suisse de La-Chaux-de- Fonds, Blaise Cendrars vint lui aussi traîner derrière les tables du restaurant ; l’endroit correspondant sans doute fort bien à son imaginaire. Mais sans Frédéric Vitoux, enquêteur scrupuleux et inlassable, nous ne pourrions saisir comment ce petit restaurant sans prestige particulier a pu devenir au fil du temps un lieu où tant de grands esprits se sont rencontrés.
Vitoux fait revivre par l’écriture près d’un demi siècle d’un lieu qui appartenait à sa mythologie personnelle et dont il nous livre avec bonheur la mémoire fragmentée. On ne se lasse pas de cette promenade à travers le temps qui nous parle de la France, de Paris et de littérature. Si “Au rendez vous des Mariniers” est un ouvrage inclassable, c’est surtout un grand livre qui vous fera un jour revenir sur l’île Saint Louis juste pour voir où se trouvait ce restaurant disparu depuis plus de 60 ans et qui raconte une histoire tellement française.
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE.COM)
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“Au rendez-vous des mariniers” n’est ni un roman, ni un essai, ni une biographie, c’est simplement l’histoire d’un restaurant populaire situé au 33, quai d’Anjou dans l’île Saint Louis. Fédéric Vitoux qui vécut toute son enfance dans ce quartier ne se souvenait guère de ce restaurant où l’on calculait l’addition sur une ardoise et comme il l’explique très bien : “Peut-être à la réflexion, ne se souvient-on jamais mieux que ce que l’on n’a pas vécu. Ce sont ces souvenirs-là, indirects, qui sont les plus formateurs – et, qui sait, les plus impudiques”
Vitoux va reconstituer la vie de ce restaurant par petites touches à travers trois périodes qui correspondent à trois propriétaires successifs de 1904 à 1953. D’abord les Lecomte, puis la famille Guerineau, enfin Alma Corréa qui assurera le dernier service en 1953. Mais l’histoire du restaurant ne se limite pas à celle de ses propriétaires même si Vitoux décrit , si l’on peut dire, leurs vies par le menu. Son enquête va l’amener à découvrir que si “Au rendez vous des Mariniers” était bien fréquenté par des mariniers et des blanchisseuses qui travaillaient sur les bateaux-lavoirs, une autre clientèle venait s’attabler dans ce restaurant d’une grande simplicité. L’écrivain Jean de la Ville de Mirmont fauché par la grande guerre, qui n’eut pas le temps d’accéder à la notoriété littéraire à laquelle il aspirait, considérait le restaurant comme un havre où il se réfugiait souvent. Vous auriez pu rencontrer aussi John Dos Passos au début de sa carrière. Hemingway et Dos Passos se rencontrèrent dans ce restaurant où la clientèle parlait fort et buvait sec ce qui ne devait pas déplaire à l’auteur de “Pour qui sonne le glas”. Picasso aussi passa “Au rendez vous des Mariniers” avec son lévrier Afghan, ou encore Drieu La Rochelle qui habitait tout près, sans oublier Aragon son ami qui se brouilla avec Drieu, pour les raisons politiques que l’on sait tout en continuant à le considérer comme l’un des écrivains les plus doués de sa génération. Simenon qui remontait la Seine amarra son bateau sur les quais de l’île et déjeuna souvent “Au rendez vous des Mariniers” avant de repartir. Enfin le poète suisse de La-Chaux-de- Fonds, Blaise Cendrars vint lui aussi traîner derrière les tables du restaurant ; l’endroit correspondant sans doute fort bien à son imaginaire. Mais sans Frédéric Vitoux, enquêteur scrupuleux et inlassable, nous ne pourrions saisir comment ce petit restaurant sans prestige particulier a pu devenir au fil du temps un lieu où tant de grands esprits se sont rencontrés.
Vitoux fait revivre par l’écriture près d’un demi siècle d’un lieu qui appartenait à sa mythologie personnelle et dont il nous livre avec bonheur la mémoire fragmentée. On ne se lasse pas de cette promenade à travers le temps qui nous parle de la France, de Paris et de littérature. Si “Au rendez vous des Mariniers” est un ouvrage inclassable, c’est surtout un grand livre qui vous fera un jour revenir sur l’île Saint Louis juste pour voir où se trouvait ce restaurant disparu depuis plus de 60 ans et qui raconte une histoire tellement française.
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE.COM)