C’était il y a longtemps et pourtant, nous sommes en 1950 à Soreni, village de Sardaigne. Les femmes sont habillées en noir, deuil d’un mari, d’un enfant, d’un fiancé mort pendant les 2 dernières guerres. La terre est dure, les traditions tenaces, les habitants de ce village s’épient, se jalousent, se volent, s’entraident…. La vie normale d’un petit village.
Tzia Bonaria, veuve avant d’être mariée, ventre sec, va trouver Anna Teresa Listru et lui propose de recueillir sa dernière fille Maria, dite, la dernière, la quatrième, la fille en trop…. Maria « Fill’e
anima », fille d’âme, est élevée par Tzia qui lui donnera tout son amour, la confiance, l’éducation. Elle découvrira la sensation insolite d’être importante pour quelqu’un, de pouvoir grandir tranquillement. Pourtant, une nuit, elle découvre que Tzia s’absente la nuit…. Ce secret, ce sera son ami d’enfance qui le lui dévoilera à l’occasion du décès de son frère. Tzia est accabadora, l’endormeuse… Les femmes sardes donnent la vie mais certaines sont appelées au chevet de moribonds, qui le demandent, pour donner la mort. Pour l’accepter, il faudra que Maria quitte le village pour aller sur le continent, puis revienne assister Tzia mourante.
Fill’e anima, fille de l’âme, celle que l’on choisit pour l’amener vers soi, pour l’élever. Accabadora, fait presque penser à une formule magique. Le pouvoir poétique des mots étrangers est immense.
Quel plaisir cette lecture lente, au rythme de la vie de ce petit village du bout du monde où la modernité, synonyme de la fin de ces traditions, arrive à tous petits pas. Michela Murgia tisse autour de nous un voile de tendresse, de rudesse, de filiation, de transmission grâce à une écriture fluide, tout en retenue et si poétique que je n’ai pu reposer le livre. Un très bon livre que je ne peux que recommander. Merci à toi Cassiopée.
Accabadora
« Le deuil s’achève quand s’achève le chagrin. »
« Le chagrin est nu. Le noir sert à le couvrir, non à l’exhiber. »
Accabadora, un titre bien mystérieux, aux accents presque magiques pour une histoire narrée tout en finesse, avec un zeste de force latine qui laissera son sillage. Michela Murgia nous ramène dans les années 50, en Sardaigne, petite ile rural et isolée, pour nous dresser le portrait d’une dame pas tout à fait comme tout le monde. Accabadora, dernière mère, c’est comme ça qu’on l’appelle, se livre à des activités nocturnes assez peu communes, Maria, sa fille d’âme, peine à se trouver une place au sein de sa seconde famille. Il lui faudra s’éloigner pour mieux revenir. La filiation, l’adoption, sont ici abordée avec une certaine originalité, dans un registre assez rude qui colle bien avec la rusticité de l’époque et des lieux.
C’est avec un infini talent, une prose à la fois fine, humoristique par moments, poétique et légère que Michela Murgia nous embarque au cœur de traditions séculaires, et de ce qui préoccupe l’humain depuis la nuit des temps : la vie, la mort, la souffrance, la dignité de la fin de vie. Et si même le personnage d’Accabadora est à bien des égards condamnable, il n’en reste pas moins attachant, au point de susciter en mon âme et conscience, indulgence, compréhension, et empathie.