« le berger, dans son corps se trouveront les
bêtes ».
Après La nuit d'un seul, paru début 2009 chez La rivièreéchappée, Mathieu Brosseau poursuit son entreprise de remembrement,
déjà commencée avec L'Aquatone et Surfaces, journal
perpétuel. Le titre de ce nouveau texte semble
l'annoncer : il s'agit de rassembler sa pluralité, de
l'encercler dans la langue s'il n'est pas possible d'en faire
l'inventaire (on se reportera, à ce sujet, àl'entretien avec l'auteur (Lien -> http://remue.net/spip.php?article3170) paru sur remue.net, dans
lequel on peut lire « Le fait que je fasse unité passe
nécessairement par le démantèlement de mon histoire, pour
l'analyse, puis dans un second temps par sa restructuration dans un
système (autofictif) cohérent.
Naît ici une sorte de cosmogonie du
soi... ». ) On retrouve donc dansUns tous les thèmes récurrents du travail
de Mathieu Brosseau, mais ce texte, plus que les précédents, est
d'une puissance radicale. En effet, Mathieu Brosseau renverse et
réinvente l'axe de sa parole : « En français, on
ne distingue que trop mal la parole qui passe du cul à la gorge, de
l'archaïque au présent contraint. »écrit-t-il.
On pensera
peut-être aux propos de Georges Bataille lorsqu'il oppose l'axe
bouche-oeil du visage humain à l'axe bouche-anus des animaux à
quatre pattes. Dans le premier cas, liéà la verticalité, l'axe
désigne la bouche en terme de pouvoir d'expression. Dans le second,
où l'axe est liéà l'horizontalité de l'animal, la bouche estélément de prise, de mise à mort et d'ingestion de la proie. L'anus
en est l'issue.
Mais chez Mathieu Brosseau, c'est une sorte de
reflux qui s'opère, cela se fait « du cul à la
gorge » et non pas dans le sens naturel des choses. Il
s'agit de faire retour. Retour à l'animalité. Retrouver, avec et
dans la langue, les parts les plus sourdes et les plus insoumises
de soi. Ainsi, quand l'axe du langage s'horizontalise, pour aligner
la bouche sur les parties basses, celui du temps se redresse :
Mathieu Brosseau écrit dans l'épaisseur de tous ses temps.
Il
confie d'ailleurs dans ce livre « Je lui parle, la
modernité m'est impossible. » Ne faut-il pas entendre,
dans cet aveu, que nous sommes fondamentalement attachés à quelque
chose de bien plus archaïque et instable que l'ici et maintenant.
L'écriture de Mathieu Brosseau est une écriture reliée. Elle se
fait dans le millefeuille des moments qui la constituent. Toujours
prise dans ce paradoxe actif du délitement, de ce qui sépare,
divise (La nuit, le démon, etc.) et de ce qui rassemble, unifie.
Cette parole habitée (une sorte d'animisme du langage qui semble
plus véloce que jamais) fait route comme animal :« Juste au bout de mes doigts : là, dans le
prolongement de mes ongles, tous les animaux s'élancent, ils crient
sans colère, ils chantent sans musique, , seule leur expression est la mienne, seule féroce
et complice, ils sont l'inhumain de mes jambes et de mes
veines :: :: là, juste au bout de mes doigts, homme
libre, tu vivras, tu verras ces animaux relâchés, renards, saumons,
pies à tête de buffle, oie à coude serpent, regarde, cet homme à
tête de biche, il est un animal , tout ceux-là, tu les verras à
toute allure, courant, nageant,... » Une langue à la fois
simple et chahutée.
Une langue qui spirale et s'invente en se
faisant. Relisant Uns , pour rédiger ces
quelques lignes, je pensais au peintre Gérard Garouste, à cette
cohabitation du classique et l'indien qui lui est chère. Et
nous y sommes, c'est dans cette tension que Mathieu Brosseau se
situe. Un cocktail de lyrisme, de langue française bien assise,
rodée, (même si elle n'est pas apte à faire le trajet comme le note
l'auteur) et d'intuition.
Un affût, une sensibilité particulière
qui défie les codes et cherche sa voie. C'est dans la langue que
cela se joue, dans un style proprement jubilatoire. Une langue qui
est à la fois le corps meurtri de Saint-Sébastien que l'auteur
convoque plusieurs fois (« Ne suis pas Saint Sébastien, luiétant percé par les flèches, je ne le suis que par mon trou sans
forme. »), l'homme debout, le guérisseur, et la
flèche, tendue, horizontale, animale (axe cul - gorge, toujours),
qui attaque, saisit, blesse.
La langue de Mathieu Brosseau est une
boussole affolée dont le nord est en perpétuel déplacement. C'est
en cela que son travail est singulier. Tout simplement parce qu'il
ne s'agit pas de littérature gratuite, mais d'un cheminement
humain, maintenant retranscrit pour nous.
L'image de couverture est une peinture de Armand Dupuy (Lien -> http://tessons1.canalblog.com)
« le berger, dans son corps se trouveront les
bêtes ».
Après La nuit d'un seul, paru début 2009 chez La rivièreéchappée, Mathieu Brosseau poursuit son entreprise de remembrement,
déjà commencée avec L'Aquatone et Surfaces, journal
perpétuel. Le titre de ce nouveau texte semble
l'annoncer : il s'agit de rassembler sa pluralité, de
l'encercler dans la langue s'il n'est pas possible d'en faire
l'inventaire (on se reportera, à ce sujet, àl'entretien avec l'auteur (Lien -> http://remue.net/spip.php?article3170) paru sur remue.net, dans
lequel on peut lire « Le fait que je fasse unité passe
nécessairement par le démantèlement de mon histoire, pour
l'analyse, puis dans un second temps par sa restructuration dans un
système (autofictif) cohérent.
Naît ici une sorte de cosmogonie du
soi... ». ) On retrouve donc dansUns tous les thèmes récurrents du travail
de Mathieu Brosseau, mais ce texte, plus que les précédents, est
d'une puissance radicale. En effet, Mathieu Brosseau renverse et
réinvente l'axe de sa parole : « En français, on
ne distingue que trop mal la parole qui passe du cul à la gorge, de
l'archaïque au présent contraint. »écrit-t-il.
On pensera
peut-être aux propos de Georges Bataille lorsqu'il oppose l'axe
bouche-oeil du visage humain à l'axe bouche-anus des animaux à
quatre pattes. Dans le premier cas, liéà la verticalité, l'axe
désigne la bouche en terme de pouvoir d'expression. Dans le second,
où l'axe est liéà l'horizontalité de l'animal, la bouche estélément de prise, de mise à mort et d'ingestion de la proie. L'anus
en est l'issue.
Mais chez Mathieu Brosseau, c'est une sorte de
reflux qui s'opère, cela se fait « du cul à la
gorge » et non pas dans le sens naturel des choses. Il
s'agit de faire retour. Retour à l'animalité. Retrouver, avec et
dans la langue, les parts les plus sourdes et les plus insoumises
de soi. Ainsi, quand l'axe du langage s'horizontalise, pour aligner
la bouche sur les parties basses, celui du temps se redresse :
Mathieu Brosseau écrit dans l'épaisseur de tous ses temps.
Il
confie d'ailleurs dans ce livre « Je lui parle, la
modernité m'est impossible. » Ne faut-il pas entendre,
dans cet aveu, que nous sommes fondamentalement attachés à quelque
chose de bien plus archaïque et instable que l'ici et maintenant.
L'écriture de Mathieu Brosseau est une écriture reliée. Elle se
fait dans le millefeuille des moments qui la constituent. Toujours
prise dans ce paradoxe actif du délitement, de ce qui sépare,
divise (La nuit, le démon, etc.) et de ce qui rassemble, unifie.
Cette parole habitée (une sorte d'animisme du langage qui semble
plus véloce que jamais) fait route comme animal :« Juste au bout de mes doigts : là, dans le
prolongement de mes ongles, tous les animaux s'élancent, ils crient
sans colère, ils chantent sans musique, , seule leur expression est la mienne, seule féroce
et complice, ils sont l'inhumain de mes jambes et de mes
veines :: :: là, juste au bout de mes doigts, homme
libre, tu vivras, tu verras ces animaux relâchés, renards, saumons,
pies à tête de buffle, oie à coude serpent, regarde, cet homme à
tête de biche, il est un animal , tout ceux-là, tu les verras à
toute allure, courant, nageant,... » Une langue à la fois
simple et chahutée.
Une langue qui spirale et s'invente en se
faisant. Relisant Uns , pour rédiger ces
quelques lignes, je pensais au peintre Gérard Garouste, à cette
cohabitation du classique et l'indien qui lui est chère. Et
nous y sommes, c'est dans cette tension que Mathieu Brosseau se
situe. Un cocktail de lyrisme, de langue française bien assise,
rodée, (même si elle n'est pas apte à faire le trajet comme le note
l'auteur) et d'intuition.
Un affût, une sensibilité particulière
qui défie les codes et cherche sa voie. C'est dans la langue que
cela se joue, dans un style proprement jubilatoire. Une langue qui
est à la fois le corps meurtri de Saint-Sébastien que l'auteur
convoque plusieurs fois (« Ne suis pas Saint Sébastien, luiétant percé par les flèches, je ne le suis que par mon trou sans
forme. »), l'homme debout, le guérisseur, et la
flèche, tendue, horizontale, animale (axe cul - gorge, toujours),
qui attaque, saisit, blesse.
La langue de Mathieu Brosseau est une
boussole affolée dont le nord est en perpétuel déplacement. C'est
en cela que son travail est singulier. Tout simplement parce qu'il
ne s'agit pas de littérature gratuite, mais d'un cheminement
humain, maintenant retranscrit pour nous.
L'image de couverture est une peinture de Armand Dupuy (Lien -> http://tessons1.canalblog.com)