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Reinhard Höhn (1904-2000) est l'archétype de l'intellectuel technocrate au service du IIIe Reich. Juriste, il se distingue par la radicalité de ses réflexions sur la progressive disparition de l'État au profit de la "communauté" définie par la race et son "espace vital". Brillant fonctionnaire de la SS - il termine la guerre comme Oberführer (général) -, il nourrit la réflexion nazie sur l'adaptation des institutions au Grand Reich à venir - quelles structures et quelles réformes ? Revenu à la vie civile, il crée bientôt à Bad Harzburg un institut de formation au management qui accueille au fil des décennies l'élite économique et patronale de la République fédérale : quelque 600 000 cadres issus des principales sociétés allemandes, sans compter 100 000 inscrits en formation à distance, y ont appris, grâce à ses séminaires et à ses nombreux manuels à succès, la gestion des hommes.
Ou plus exactement l'organisation hiérarchique du travail par définition d'objectifs, le producteur, pour y parvenir, demeurant libre de choisir les moyens à appliquer. Ce qui fut très exactement la politique du Reich pour se réarmer, affamer les populations slaves des territoires de l'Est, exterminer les Juifs.
Passé les années 1980, d'autres modèles prendront la relève (le japonais, par exemple, moins hiérarchisé).
Mais le nazisme aura été un grand moment managérial et une des matrices du management moderne.
Histoire et Ressources Humaines
Dissipons d'emblée un malentendu que risque d'induire le sous titre meme de cet ouvrage : il ne s'agit pas du tout de dire que les managers sont des nazis. Il s'agit de jetter toute la lumière qu'il mérite, sur un phénomène que son très sagace auteur a observé : les nazis ne sont pas d'une autre époque, d'un autre lieu, d'un autre monde. Leurs idées et leurs expérimentations irriguent bel et bien encore le monde d'aujourd'hui ici. Ils n'étaient pas des partisans d'un Etat fort jacobiniste mais bien d'une "polycratie", ne menaient pas leurs affaires "à la Schlague" mais bien à la "joie dans le travail", et parlaient flexibilité, objectifs, missions, projets, performances, concurrence."Si l"Etat, avec son organisation géométrique(...)est incapable de faire face aux urgences biologiques et historiques de l'heure, le foisonnement métastatique d'initiatives individuelles et le développement d'une concurrence institutionnelle peuvent aboutir aux solutions les plus rapides et les plus radicales"(p39-40) Johann Chapoutot poursuit son édifiant travail historique sur le nazisme et nous livre, après le très remarquable et remarqué "la Loi du Sang-Penser et Agir en Nazi" qui analysait le phénomène nazi sous trois axes pertinents ("Procréer"/"Combattre"/"Régner"), cet essai percutant qui n'a pas fini de faire parler. : cf sur France Culture dans Avis Critique de Raphael Bourgois samedi 11 janvier 2020 :" S’il fallait trouver un fil directeur dans ses travaux, ce serait l’idée que le nazisme n’est pas un accident de l’histoire, une exception allemande incompréhensible…mais bien un épisode ancré dans l’histoire européenne.C’est ce qu’il fait cette fois encore en se penchant sur la question du management, ou Menschenführung car les nazis goûtaient peu le terme anglo-américain. En effet, alors que le Reich est amené à s’étendre, à conquérir un lebensraum, un espace vital de plus en plus vaste, alors que la guerre envoie un nombre croissant d’hommes au front… il est impératif de faire mieux avec moins, d’améliorer les performances des entreprises comme des administrations. C’est la tâche qui est confiée à un homme, Reinhard Höhn, un juriste brillant qui gravira les échelons jusqu’au grade de Général de la SS. Johann Chapoutot articule son travail autour de ce Reinhard Höhn, qui ne sera que très peu inquiété après la guerre et fondera même une école de management prestigieuse qui a formé des générations de dirigeants d’entreprises allemands. Mais Libres d’obéir n’est pas un réquisitoire contre les managers il ne s’agit pas de dire que le management a des origines nazies ni qu’il est une activité criminelle par essence. En revanche, il montre bien comment ces réflexions s’inscrivent parfaitement dans le contexte intellectuel marqué par le racisme biologique et le darwinisme social… comment aussi elle révèle la méfiance des nazis pour l’Etat, et leur goût pour une certaine forme de liberté. ".