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"Je n'ai jamais ressenti aucun sentiment de nation. Aucun sentiment de territoire. Seules les langues m'émerveillent. Rare l'instant où on voit sur les lèvres d'un enfant l'instant où le son devient un mot. Très rares les humains qui ont pu voir filmée, ou dessinée, ou enregistrée, ou narrée la scène exacte où ils ont pris origine juste avant l'instant x où ils sont conçus. Mais plus encore l'instant de bascule d'un système symbolique dans un autre: la date de naissance de leur langue, les circonstances, les lieux dans l'espace, le temps qu'il faisait dans le site, la rivière, les arbres, la neige....
C'est une chose extraordinaire que d'être resté en contact avec la contingence de l'origine. Le français a cette chance. Le 14 février 842, un vendredi, à la fin de la matinée, sur le bord de l'Ill, dans un froid terrible, sur les lèvres des soldats francs, quand ils ont à proclamer leurs serments, une étrange brume se lève. On a appelé cette brume le "français". Nithard, le premier a écrit le français.
Je vais vous raconter l'histoire de Nithard et de son frère jumeau Hartnid." Pascal Quignard
Entre poésie et Histoire
L'histoire tourne autour de deux jumeaux, Hartnid et Nithard, entre l'an 800 et l'an 900. Quignard nous propose ici, dans la continuité de son "Dernier Royaume", une succession de petits billets qui font les petites histoires dans les grandes. On y croise tour à tour "Charles le Magne", et les premiers rois francs. On y découvre avec émotion la naissance de la langue française dans une nuit froide, aux alentours de Strasbourg. Mais on s'attache surtout à une écriture ouvragée, portée par la plume virtuose de Quignard : l'affection entre un moine et un chat noir, les sombres forêts des Ardennes, les mots et leur origine, et les moments de tendresse qui parcourent le livre... Un vrai coup de cœur !