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Seigneur, murmura-t-elle en joignant les mains et en les pressant de toutes ses forces l'une contre l'autre. Mais elle ne savait pas quoi dire. Qu'est-ce qu'il faut dire ? Qu'est-ce qui me prouve que tu existes ? Elle pensa alors que tout lui prouvait le contraire. Mais ce tout restait absolument abstrait et indéfini, comme était indéfinie la conscience qu'elle avait du monde. Ça te ferait sans doute du bien de penser aux autres, ça t'aiderait à trouver des repères, lui avait un jour lancé Michel.
Stéphane n'avait rien dit. Elle n'avait pas voulu lui répondre qu'elle se fichait des autres et de leur souffrance. Elle se fichait pas mal des guerres, de la misère, des peuples opprimés et de la famine. Est-ce que je dois passer mon temps à m'en repentir ? Les rares fois où j'ai essayé de penser à eux avec un peu de compassion, ça n'a rien changé à leur sort, et ça ne m'a pas aidée du tout. Je voudrais simplement savoir comment font les autres pour aller tous les jours aussi bien...
Stéphane souffre. De se sentir étrangère au monde. Aux autres. De pas savoir aimer le garçon qui l'aime. Loin de lui, elle découvre la force du lien qui les unit, mais trop tard pour pouvoir le lui dire. Coupable à ses yeux d'avoir laissé passer le bonheur, Stéphane inflige à son corps la plus cruelle des punitions : celle de ne plus le nourrir. Au cour de ce mystère qu'on appelle anorexie, elle puisera la force de franchir le pas, et de renaître.
