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En janvier 2015, les victimes de l'Hyper casher de la porte de Vincennes n'ont pas été assassinées à cause de ce qu'elles avaient fait - exercer leur liberté d'expression ou veiller à l'ordre républicain -, mais uniquement à cause de ce qu'elles étaient. Comment, dès lors, peut-on être juif en France ? Comment vivre avec ce traumatisme qui s'ajoute à l'augmentation constante des actes antisémites depuis les années 2000, aux effets délétères d'une détestation croissante d'Israël et aux massacres abominables de Toulouse et de Bruxelles ?Salomon et Victor Malka, écrivains et journalistes, ont voulu répondre à cette question en allant à la rencontre de juifs de toutes tendances à Toulouse, Strasbourg, Bordeaux, Lyon, Marseille, Nice...
Ils ont interrogé des intellectuels, des responsables religieux et associatifs, assisté à des colloques, scruté le fait juif dans des livres et films contemporains, dans les discours des musulmans. Le tableau qu'ils dressent est beaucoup plus contrasté que ce que l'on pourrait croire : non, la tentation de l'émigration n'est pas générale non, le réflexe communautariste est loin d'être la seule réponse à une peur pourtant bien palpable.
Mais par-delà les différentes réactions régionales et individuelles qu'ils ont constatées, un sentiment domine : le grand désarroi des citoyens juifs de notre pays. Une enquête passionnante qui soulève des questions fondamentales pour l'avenir de notre République.
RECOMMANDÉ PAR LE SITE CULTURE-CHRONIQUE
"Désarroi : trouble moral profond, détresse" , c'est sur cette définition du Larousse que s'ouvre l'ouvrage de Salomon et Victor Malka qui se présente comme une enquête fouillée sur le malaise de la communauté juive en France. Un malaise qui pousse certains d'entre eux à quitter un pays d'où ils ne pensaient jamais partir. Ce désarroi est d'ailleurs partagé par un grand nombre de français qui ont bien du mal à accepter cette situation car la communauté juive a toujours été, pour eux, intimement lié au destin de la France et de la République.
Les deux auteurs partent de quelques questions simples : de quoi ce désarroi est-il le nom ? Comment est-il vécu ? Et aussi, que disent les juifs en ces temps de troubles ? Tout part des attentats de janvier 2015, l'enquête va ensuite se dérouler tout au long de l'année 2015. Sans trop déflorer le fond du livre, l'un des constat tient au fait que ce désarroi a évolué , s'est disséminé avec ce sentiment que désormais plus personne n'est à l'abri. On peut d'ailleurs s'interroger sur les tenants du "raison garder" quand une petite frappe soudain drapé de l'idéal islamiste va abattre des enfants juifs dans une cours de récréation à Toulouse, crime suivi dans silence assourdissant dans notre pays; où encore quand un autre voyou la tête pleine de slogans simplistes va s'attaquer à une supérette de Vincennes et tuer plusieurs personnes simplement parce qu'ils étaient juifs, ou enfin quand un gamin de 16 ans s'arme à Marseille d'une machette et tente d'assassiner un juif... On comprend bien que la raison a filé en douce remplacée par l'effroi. Demandons nous à quand remonte la dernière période où on a posté des soldats devant des écoles juives et des synagogues ?
Cette enquête est passionnante à plusieurs titres. D'abord parce qu'elle propose une plongée dans le judaïsme français contemporain en même temps qu'un voyage dans le monde politique, médiatique, associatif, religieux, en rassemblant des témoignages aux quatre coins de la France. Ensuite parce Salomon et Victor Malka dresse une véritable typologie d'un désarroi protéïforme qui va du désespéré au combattant. Enfin elle montre que la communauté juive est finalement un choix de tous les instants , un projet, un objectif qui s'inscrit dans notre République.
Reste que le constat final est sans appel : pour les juifs de France une longe période de tranquillité a pris fin. Pourtant cette communauté est une composante de l'histoire de France que cela plaise ou non à certains. La laïcité - dont les juifs sont de fervents adeptes - reste l'espace intangible , la condition fondamentale du "vivre ensemble".
Il faut lire ce remarquable ouvrage pour la qualité de son analyse et les élucidations qu'il permet à tout honnête homme qui le lira. Notre République a besoin de ce type d'enquêtes qui permet de saisir la complexité de certains phénomènes sociaux. "Le grand désarroi" est un livre important pour ceux qui veulent que notre pays préserve "une diversité heureuse" selon l'expression de Pierre Manent.
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE)