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" Les compiles de Gretchen étaient comme ces chansons qui semblent nous parler de nos vies. La bande-son secrète de ce que je ressentais ou de ce que je pensais à propos de presque tout. "
La Crête des damnés, c'est l'histoire d'un ado des quartiers sud de Chicago qui découvre le punk dans les années 1990. À travers les exploits et ruminations de Brian, ex-loser qui se rêve en star du rock, et de sa meilleure amie Gretchen, fan de punk et de bagarres aux poings, Meno décrit avec une grande justesse de ton les premiers émois amoureux, la recherche d'une identité entre désir d'appartenance et de singularité, les situations familiales complexes...
et brosse au passage le tableau de ces quartiers et leurs démons : racisme, conformisme catholique, oppression de classe. L'âme du livre, c'est le punk, et comment la découverte de son message politique et social va bouleverser la vie de cet adolescent. Bourré de références à des groupes de punk et de rock, de cassettescompiles et de conseils pour se teindre les cheveux en rose, le livre est punk jusqu'à l'os, jusqu'à la langue : rebelle à l'autorité, brut et furieux.
Comme J. D. Salinger avant lui, Joe Meno réussit le tour de force de faire sonner les mots et les tourments de cette génération dans une langue rythmique et crue, et son Brian Oswald est régulièrement qualifié de " Holden Caulfield moderne ". C'est une autre facette du Midwest qu'explore l'auteur dans ce roman, qui fait la part belle à l'énergie de la musique et à l'humour ironique de l'adolescence.
Prodiges et Miracles, son précédent roman, a reçu le prix Transfuge du meilleur polar étranger 2018
la crête des damnés
Ce n'est pas l'importance de la découverte du punk rock qui fait de ce roman une illustration du punk rock des années 90 à Chicago (et globalement dans le monde), mais la prise de conscience d'un ado sur sa société et les rapports de classe au lycée, dans les rues résidentielles, au centre commercial, qui le font devenir un punk, alors qu'il n'en a lui-même rien à foutre.
Ce que cherche Brian Oswald, c'est la reconnaissance des filles, des bandes de lycéens, c'est trouver le meilleur nom de groupe de métal qui le rendra célèbre alors qu'il n'est pas musicien (comme si d'avoir le nom, générera automatiquement la musique et la gloire). Sa meilleure copine Gretchen écoute du punk-rock, il aime bien les compilations qu'elle lui fait sur cassettes, mais pour les valeurs qu'ils leur prêtent : l'amour, l'amitié, le deuil, la colère, etc, pas pour la musique des Clash qui est derrière. Lui vibre au son des Guns 'n' Roses. Le look, les couleurs de cheveux, c'est amusant, mais ça ne fait pas tripper le gamin. Ce que veut Brian Oswald c'est du sexe, c'est être amoureux, c'est faire la fête ou se payer son van. C'est surtout comprendre la relation entre les individus, entre les groupes, c'est comprendre sa société. Ses parents qui se séparent, le père de Gretchen qui a perdu sa femme, sa petite copine Dorie, le petit caïd qui a fait de lui son souffre-douleur, le pote noir qui ne joue pas au basket mais écoute du jazz, c'est prendre conscience des revendications sociales et culturelles d'une classe minoritaire encore ségrégée.
Si la musique est importante, ce n'est pas tant le punk rock tout au long du roman que toutes les formes de musiques, ou presque, auxquelles l'auteur rend hommage. Ce n'est qu'à ses dépens que Brian Oswald va apprendre comment tourne le monde, et en devenant punk qu'il va s'y confronter, lorsque le punk-rock prendra tout son sens à ses oreilles.
Un grand roman d'initiation, une pâte fine et d'une justesse incroyable sur l'adolescence, sur la (les) culture(s) punk.