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Une plongée romanesque au cour de la banalité du mal (celle d'êtres renfermés sur eux-mêmes, indifférents à ce qui est étranger, violents) avec ce texte bref, dense, sans concession. Un huis-clos dérangeant.
Je ne l'avais pas imaginé comme ça, ce coin de l'Indiana. Avec son bar local réservé aux Blancs. Ses commerces et ses églises pareils à des blocs de Lego. Ses intervalles de champs de maïs et de champs de soja.
Ses espaces boisés clairsemés. Ses poteaux électriques. Ses bordures de route sans promeneurs. Pas de sentier. Aucun arrêt de bus à proximité. Impression d'avoir été arrachée à la frénésie des capitales. À la liberté. À l'illimité.
Les préjugés de race, l'isolement et la chute : tels sont les principaux thèmes exposés dans cette brève fiction dont le cadre est la banlieue d'Indianapolis, où un milliardaire américain a fait construire la réplique d'un château français.
Là, Ethel y commence un travail. Mais tout s'enchaîne de plus en plus mal. Prise dans la tourmente, elle tente néanmoins de se protéger des autres protagonistes, frappés par l'un des plus grands maux de l'époque : le déni.
Raphaële Eschenbrenner est l'auteur de plusieurs romans, dont Exil à Spanish Harlem, qui fut salué par Gérard Guégan : « Aucune nostalgie là-dedans. Que du vrai, du vif, de l'actuel, de l'émotion à jet continu.
Cela s'appelle le talent. »
RECOMMANDÉ PAR CULTURE-CHRONIQUE
“L’arithmétique du mal” de Raphaëlle Eschenbrenner nous propose une vision sans concession de l’Amérique profonde, celle qu’un lecteur français ne peut pas imaginer. Ethel est française et vit aux Etats-Unis, jusque là rien de très exceptionnel mais les choses deviennent plus intéressantes quand elle se rend dans la banlieue d’Indianapolis au coeur du Midwest pour un contrat de quelques mois de peintre en bâtiment. Pour Ethel c’est une nouvelle vie qui commence, elle va devoir s’adapter aux moeurs locales, à un travail en équipe et à la monotonie d’une existence d’où la fantaisie est totalement absente, c’est sans doute tout l’intérêt du roman.
Raphaële Eschenbrenner place habilement un regard hexagonal en plein coeur d’une Amérique qui vit à des années lumière de la Maison Blanche. Evidemment Indianapolis n’est pas une ville anecdotique mais il en existe des dizaines de répliques aux Etats Unis et c’est exactement la même chose pour les suburbs qui se ressemblent toutes. Ethel nous permet de découvrir l'Amérique des classes populaires très loin d’un “way of life” qui ne fait plus recette. Ce n’est pas, en effet, leurs maigres revenus qui leur permettent de rêver à une vie meilleure. Eschenbrenner décrit une société où le modèle social est totalement en panne et où l’espoir à reflué comme la mer les jours de grandes marées. Son personnage travaille dans un lieu de démesure, la réplique d’un château français qu’un milliardaire ce fait construire, c’est là tout le paradoxe de la société américaine : d’un côté la folie architecturale de celui qui peut tout se permettre – au bas mot deux mille six cent mètres de surface habitable - , de l’autre des êtres qui misent à la lisière du déclassement. Ethel découvre les préjugés de race, la violence, la débine et l’isolement dont sont victimes ceux avec qui elle partage ses journées de labeur. Le plus inquiétant tient sans doute au fait que personne ne semble s’offusquer du malheur qui prend les uns et les autres à la gorge ; le lecteur comprend que le déni s’incarne en chaque être comme la manifestation d’un refoulement général. Ethel observe ce monde avec les yeux du Candide qui prend progressivement conscience qu’il ne vit pas dans le meilleur des mondes.
"L'arithmétique du mal" est un roman impitoyable que l'on reçoit comme une gifle et qui laisse au lecteur un goût de sang dans la bouche. L’écrivain a su prendre cette Amérique du Midwest sur le vif à travers la peinture d’être ordinaires aux prises avec diverses formes d’insécurité. D’évidence le modèle social américain est à bout de souffle mais personne ne le remet en cause. C’est tout la force de ce roman : mettre à nu l’évidence de ce qui est tu. A lire de toute urgence !
Archibald PLOOM (CULTURE-CHRONIQUE.COM)