http://alombredunoyer.com/2016/02/01/il-reste-la-poussiere-sandrine-collette/
Dans le cadre de mon partenariat avec les Editions Denoël, j'ai eu la chance de lire au mois de Janvier Il reste la poussière, le dernier ouvrage de Sandrine Collette. Cette fois, c'est un western bien noir dans la steppe de Patagonie argentine que nous propose l'auteur.
La mère et ses 4 garçons - les jumeaux Mauro et Joaquin, le débile Steban et le petit Rafael - vivent à l'estancia, propriété qui ne vaut pas grand-chose. Sous le joug et l'autorité quasi militaire de la mère, ils élèvent moutons et
bovins afin de survivre.
« Alors un à un ils s’exécutent – c’est le grand qui a obéit en premier, son allégeance sans faille à la vieille, même quand la colère bout, même s’il donne l’impression d’avoir des griffes qui le retiennent à la chaise tant il ne veut pas se lever ni sortir, mais Rafael opine également, la mère a ses raisons, elle ne se trompe pas, bien plus maligne qu’eux trois réunis, et lui aussi une force obscure le pousse à suivre les ordres sans réfléchir. Pourtant qu’il lui en veut, et qu’il ne comprend rien à ses façons de faire ! »
Rafael est le souffre-douleur de ses ainés. On apprend dans le prologue que ses frères jumeaux l'ont maltraité dans ses premières années, sous l’œil complice de la mère qui a laissé faire.
« La mère est son avenir, l’estancia sa destinée et son tombeau. Il ne veut ni réfléchir, ni répondre. Cela abîmerait trop de choses. Seul le bétail est important, et le travail de chaque instant, l’infinie répétition, lassante et rassurante, et même le galop des chevaux se ressemble de jour en jour, et le souffle des bêtes, et la lumière de l’aube sur la plaine. Envisagée ainsi, la vie n’a pas lieu de changer. Elle peut durer le temps de l’humanité, le temps de l’univers et des certitudes. Surtout ne pas se poser la question de Steban. Derrière, il y a le poison. »
Rapidement, on devine que la terreur et la violence sont les maitres mots de cette famille. La mère est détestable : méchante, sans cœur, sans instinct maternel, violente, alcoolique, secrète... Ajoutez-y la férocité des jumeaux, la dureté des éléments et vous obtenez une atmosphère oppressante, dérangeante.
« Elle les déteste tout le temps, tous. Mais ça aussi, c’est la vie, elle n’a pas eu le choix. Maintenant qu’ils sont là. Parfois elle se dit qu’elle aurait dû les noyer à la naissance, comme on le réserve aux chatons donc on ne veut pas ; mais voilà, il faut le faire tout de suite. Après, c’est trop tard ; Ce n’est pas qu’on s’attache : il n’est plus temps, c’est tout. Après, ils vous regardent. Ils ont les yeux ouverts. Et vraiment la mère t a pensé, mais elle a manqué le coche. Alors les jours où elle ne supporte plus les fils, elle se venge en se rappelant qu’elle aurait pu le faire. Elle les a eus à portée de main. Il n’y avait qu’à les lâcher dans l’eau/ Et jamais ils ne se rendent compte de ce qu’ils lui doivent, jusqu’à la simple chance de vivre. »
La famille va éclater un soir quand la mère joue (et perd) son fils Joaquin aux cartes. A partir de ce moment-là, les rebondissements seront nombreux, les événements s'enchainent jusqu'à la fin du livre... Je vous laisse découvrir l'intrigue.
« Dans les écuries, les fils continuent à comploter et à murmurer, fous de colère. La mère, ils ne l’appellent plus, pas même la mère. Ils disent : « elle ». Dans ce elle, toute la défiance, toute la rage du monde ».
Sombre, cruelle, violente voire barbare, très dure, cette histoire ne peut laisser le lecteur indifférent. Néanmoins, en refermant le livre, mon impression est bien plus nuancée. Si j'ai eu du mal à m'attacher aux personnages (si ce n'est Rafael, le jeune si naïf, si bon pour qui on ne peut qu'avoir de l'affection) et si je m'attendais malheureusement à une telle fin (peu de surprise on la voit venir il faut le reconnaitre et c'est dommage), je garde un relatif bon souvenir de ce livre.
C'est surtout grâce à l'écriture de Sandrine Collette : elle est très travaillée, directe, ciselée parfois, basée sur le jeu des contrastes. Au moyen de mots subtilement choisis, les phrases sont souvent fortes et évocatrices, imagées. L'auteur sait parfaitement décrire les tensions, les peurs, les émotions de cette famille ainsi que les relations fraternelles brutales. Le lecteur n'est pas ménagé, loin s'en faut. Ce sentiment de huis clos, d'étouffement est maintenu tout au long de l'intrigue. Malgré un rythme plutôt lent (mais clairement assumé), le suspense est présent jusqu'aux dernières pages (même si comme je l'ai précisé plus haut, je suis déçu par la chute...)
« Les seules caresses qu’il accepte sont celles des brebis, et il plonge ses mains dans les toisons épaisses pour les pousser vers l’enclos, entoure les cous dans une étreinte plus qu’une secousse s’il faut encourager les bêtes qui craignent la tonte tout le monde le sait, les cajole quand Mauro et Steban les relâchent étourdies. Pourtant l’odeur de la peau trop longtemps enfermée sous la laine l’écœure, douceâtre, nauséabonde, mais il ne se lasse pas de la chaleur des corps, de leur douceur humide qui reste sur ses paumes et que les brebis viennent lécher pour en goûter le sel. »
La construction y fait aussi beaucoup. Le fait de changer de narrateur à chaque chapitre permet d'offrir des points de vue différents, donc d'apprendre des éléments nouveaux. Cela évite la monotonie et l'ennui vu la lenteur du récit. Une belle trouvaille de l'auteur.
Je ne peux que vous conseiller de lire ce dernier opus de Sandrine Collette. Différent des précédents, malgré les quelques réserves que j'ai énumérées dans cette chronique, ce western noir sera à n'en pas douter un succès.
4/5
Un roman redoutable : paysages arides et violence humaine !
Avec "Il reste la poussière", Sandrine Collette s'affirme une nouvelle fois comme l'auteure de romans noirs française, la plus douée de son époque ! Peu importe ses romans, le lecteur a l'impression qu'ils se valent tous et nous promettent des aventures traumatisantes sur le genre humain, ses vices, ses déviances, ses folies, ses erreurs, ses pêchés. Les titres de ses ouvrages sont d'ailleurs délectables et donnent tous envie ! Portés par une écriture unique, qui n'appartient qu'à elle et qui est immédiatement reconnaissable, cette auteure audacieuse, talentueuse, à l'imagination débordante, clou tout simplement le lecteur sur place !
À travers un rythme haletant, elle transforme ses histoires en véritables "pages-turners", desquels nous ressortons bouleversés, mais aussi grandis. En lisant Sandrine Collette, nous sommes remis à notre place, nous sommes choqués, traumatisés, écœurés, mais nous devenons incontestablement meilleurs qu'avant notre lecture. La familiarité de son écriture permet d'oublier les convenances, les figures de style et les apparences. Tout est là, net, authentique, naturel, palpitant de vérité et de cruauté. Et ça, le lecteur doit savoir l'accepter, comprendre dans quel voyage il s'embarque et s'il n'est pas prêt, alors qu'il passe son chemin ; il y en aura d'autres après lui.
Car si les ouvrages de Sandrine Collette ne sont pas faits pour tout le monde, ils sont faits pour les lecteurs qui aiment sortir de leur zone de confort, se frapper la tête contre le mur et ouvrir grand les yeux sur le petit monde édulcoré dans lequel ils vivent. Sandrine Collette est à l'image d'une drogue dure qui nous fait voir la réalité sous un autre jour, mais comme toute bonne drogue, elle rend vite dépendant ! Ainsi, nous détestons ses personnages de toute notre âme, nous pleurons avec sincérité, nous ne comprenons pas leurs choix et c'est alors poussés par un féroce désir d'entrer dans l'histoire, que nous voulons les secouer et tout changer ! Alors même que nous finissons par les décrypter, se laisser attendrir, entrevoir leurs failles. Toutes les émotions sont donc exacerbées et entre la nausée et les larmes, la frontière est si mince, comme celle entre le bien et le mal ; ce que Sandrine Collette s'applique à nous rappeler à travers chacun de ses livres. Bref, une auteure de génie à découvrir impérativement avant de mourir !