J'avais tant envie de découvrir ce roman que j'avais peur d'être déçue. Et s'il est vrai que le roman démarre assez doucement, j'ai de plus en plus aimé au fur et à mesure que je tournais les pages et je n'arrivais pas à oublier ma lecture une fois le livre reposé. Pourtant, il n'y a pas de scènes fortes ou mélodramatiques à proprement parler, mais des réflexions sur l'Amérique, et des mises en situation de l'hypocrisie qui caractérise ce pays (et sans doute tous les systèmes). En nous racontant le dernier jour de cette mi-temps que vit Billy (il était à la guerre avant ce moment,
il y retournera après), Ben Fountain rappelle que ces dirigeants qui envoient des jeunes à la guerre ont eux-mêmes tout fait pour ne pas aller au Vietnam.
Bush, Cheney, Rove, tous ces types-là, ils ont fait ce que tout le monde faisait, et j'étais comme eux, un trouillard de première. Le problème maintenant, c'est que ce sont les pires bellicistes qui maintenant, nous servent leur connerie de guerre à outrance.
Bien sûr, la compagnie Bravo est ici utilisée à des fins électorales. Le sergent Dime remarque vite qu'ils sont invités dans les états dont le résultat est incertain pour les prochaines présidentielles. Le génie de Ben Fountain est de faire de subtiles comparaisons. Lorsque Manon, la jeune fille que rencontre Billy parle de ce qu'elle fait, elle ne peut que nous paraître ridicule par rapport aux risques que prend Billy et à ce que lui a apporté à son pays:
Les gens nous disent "Vous êtes si bonnes de donner tant de vous-mêmes aux autres. Mais c'est l'inverse. C'est les autres qui nous donnent tant. C'est ça qu'il y a de mieux dans notre rôle de cheerleader, servir les autres.
Et ce que semble suggérer l'auteur, c'est que finalement, cheerleader ou soldat, le rôle est le même : divertir l'Amérique et jouer les faire-valoir de personnes plus influentes. Ce que tout le monde veut savoir, c'est ce que ressent le soldat qui tue mais ça, justement, Billy ne l'a pas encore analysé. On sent bien la fascination de ces américains pour les armes et pour le sang. Billy a tué, ce qu'eux ne feront sans doute jamais et ça les fascine. J'ai beaucoup aimé la façon dont est dépeint le monde du football américain. C'est ainsi que Billy résume ce jeu:
On finit par prendre plaisir à ce qu'on nous dise sans cesse ce qu'il faut faire, sauf qu'au bout d'un moment, ça devient ennuyeux comme la pluie et qu'arrivé à un certain âge, on se rend compte que les coachs sont en réalité cons comme des balais.
Ben Fountain manie l'ironie et le sens de la dérision à la perfection. La difficulté qu'éprouve Billy à obtenir de l'Advil en est un exemple. Il a beau être un héros, l'intendant du stade ne peut lui donner cet Advil au risque de perdre son emploi puisqu'il n'en a pas reçu l'ordre.
Tournée des héros.
En tournée de "héros" à travers leur pays pendant quelques jours, de jeunes soldats américains basés en Irak servent la propagande militaire, tels des clowns adulés mais invisibles dans un grand Barnum, en parfait décalage avec leurs concitoyens.
Billy, jeune trouffion de 19 ans, subit ce choc de deux réalités comme une souffrance.
A travers sa vision et son introspection, la charge négative est lourde pour un pays belliciste et hypocrite, malade de sa consommation outrancière et de son culte du dollar,de ses certitudes de justice et de bon droit, de ses paradoxes. Une Amérique dégoulinante d'auto satisfaction.
Heureusement, beaucoup d'humour et de fantaisie, voire d'ironie ( Ben Fountain a le sens de la formule! ) pour alléger le propos, beaucoup de tendresse pour moi lectrice, pour des jeunes adultes, pathétiques chiens fous, laminés par le système politique, se demandant quel jeu de hasard les a placés sur ce drôle d'échiquier.
Billy, petit rouage militaire, nous fait nous interroger sur la guerre et sa nécessité, sur le patriotisme et l'objection de conscience, sur le champ de mines que peut être la famille, sur les "héros" qui font ce qu'ils peuvent, tous ces garçons qui se retrouvent sur le terrain pour raisons économiques, familiales ou judiciaires.
Livre au thème intéressant mais parfois un peu pénible à lire par sa longueur et l'overdose de dialogues et détails redondants, concernant le football américain et les scènes de shows dans les stades bondés.
Néanmoins, beaucoup d'empathie pour les guys sacrifiés et d'intérêt pour les réflexions ouvertes au lecteur.