La tournée américaine : un récit familial traumatisant

- Il y a 7 ans
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Quelque part, dans cette petite ville de Virginie...

Après le récit de Jack Kerouac (lire : La tournée américaine : 1er épisode), Ophélie nous présente un ouvrage de Robert Goolrick, auteur de plusieurs romans dont l'un a reçu le prix Fitzgerald en 2015 (La chute des princes). Découvrez sa chronique et suivez la sur son blog Le Journal des Lettres.

Féroces - Robert Goolrick

Féroces - Robert Goolrick

Résumé : "Cocktails, mises en plis et tenues de soirée exigés : pour les Goolrick, les années 50, c'était le chic, le charme, au rythme des glaçons pilés. Un paradis sophistiqué. La perfection à crédit. Car le temps passe et le vernis craquelle. Le roi est nu, et c'est un monstre. Sous son irrésistible séduction, la famille la plus extraordinaire de Virginie cachait l'aigreur, la folie, le crime. « Féroces »... Leur héritage est un cri d'enfant qui engloutit tout : le silence, le mensonge et l'Amérique..."

Ce roman est un choc. Non seulement par son histoire, par le style d'écriture toujours aussi efficace de Goolrick – son roman La Chute des Princes est un chef-d’œuvre - , mais aussi et surtout parce qu'il s'agit de l'histoire familiale de l'auteur. Et que lorsque nous nous attaquons à une histoire vraie, les choses se gâtent toujours... Ce roman est une révélation, amère et obscure. Il braque un projecteur aveuglant sur une vérité que nous cherchons durant toute notre lecture. Au début, nous ne savons clairement pas dans quoi nous mettons les pieds. Et pourtant, le titre annonce la couleur ! Inutile, notre curiosité sera plus gourmande que ça et il nous faudra absolument savoir, pour ne pas devenir fous. Sauf que ce sont toutes ces réponses à nos questions, qui finiront par nous rendre fous...

Le narrateur de Féroces, - qui n'est autre que l'auteur - , nous le détestons très vite. Il nous en met plein la vue avec le faste des Goolrick, les soirées à cocktails, les tenues hors de prix, l'immense maison et les relations influentes. Tout ce que le lecteur moyen détestera, mal à l'aise. Au fil de notre lecture, Goolrick aborde un sujet très délicat : le suicide et l'acharnement employé par certaines personnes déprimées pour parvenir à mettre fin à leurs jours, de la manière la plus sanglante possible...

Là déjà, nous sommes en train de nous dire que c'est trop. Surtout que Goolrick ne mâche pas ses mots, alternant l'humour noir et le dramatique de la situation. Le tout porté par une plume addictive et une maîtrise parfaite. Pendant plusieurs chapitres, nous suivons la descente aux enfers d'un personnage suicidaire qui revêt plutôt les apparats d'une ombre, puis d'un psychopathe. C'est là que le lecteur perd patience. Beaucoup ne sont pas à l'aise avec l'idée de lire tous les détails mis en pratique par un homme qui veut en finir avec la vie. Surtout que cela nous apparaît comme démesuré. Le suicide est toujours quelque chose de démesuré, de lâche et de théâtral. C'est un luxe qu'un gosse de riche est en train de se payer pour faire parler de lui et braquer tous les regards sur sa petite personne... Voilà notre conclusion. Nous allons nous en mordre les doigts...

Car la mise à nue des noirs secrets des Goolrick ne sera pas belle à voir. Encore moins à lire. Sauf qu'il est trop tard, nous avons presque bientôt fini notre lecture... Ce roman nous explose alors à la figure et nous récupérons les morceaux sans se rendre compte que l'on saigne. Le lecteur se retrouve ainsi face à une horreur sans nom, qui le dépasse. Mais au-delà de la simple gratuité d'un récit familial traumatisant, c'est une prise de conscience que Goolrick nous enseigne. Il nous apprend à ne pas nous fier aux apparences et à gratter un peu pour voir ce qu'il y a derrière. Et qu'une fois la vérité découverte, il ne faut surtout pas la taire. Et rendre justice.

Ophélie Curado, pour le blog de Decitre, blogueuse sur Le Journal des Lettres