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J'ai senti mes poumons comme écorchés en dedans par des ongles, comme si quelqu'un avait lancé de la poudre de chili rouge dans mes narines. J'ai inhalé de nouveau et c'était pareil. J'ai agrippé ma gorge et fermé les yeux qui me brûlaient et larmoyaient. Puis j'ai tenu le bord de mon sari contre mon nez dans l'espoir de dissiper quelque peu les épices dans l'air mais rien ne parvenait à assainir l'atmosphère.
Si Prakash était venu me prendre à l'arrivée de mon train deux heures plus tôt, j'aurais été sauvée, hurlai-je intérieurement. On est à Bhopal, en Inde, le soir du 3 décembre 1984, quand l'usine de gaz d'Union Carbide explose, faisant des milliers de morts et de blessés. La jeune Anjali attendait ce jour-là son mari à la gare. Très indifférent à son égard, il a oublié de venir la chercher. Elle survivra, avec de lourdes séquelles, mais exige le divorce, ce qui est alors très choquant dans la bonne société indienne.
Remariée à Sandeep, un homme bon qui l'aime et qu'elle aime, elle aura avec lui un petit garçon gravement handicapé physiquement, une conséquence de ce qu'elle a vécu à Bhopal. Un jour, Anjali revoit par hasard son premier mari - qui découvre alors les catastrophiques suites de son insouciance d'autrefois. Peut-on oublier, peut-on pardonner, peut-on réparer ?
RECOMMANDÉ PAR CULTURE-CHRONIQUE
Les éditions Mercure de France éditent depuis plusieurs années d’excellents auteurs indiens dans sa collection “ Bibliothèque étrangère”. Nous avions déjà parlé du roman d’Amrirban Bose “La mort de Mitali Dotto” qui avait été une véritable découverte. Cette fois “La Bibliothèque étrangère” s’augmente d’un nouveau volume d’une auteure indienne née en 1974, Amuly Malladi, qui nous propose un roman intitulé “Une bouffée d’air pur” et qui renvoie à l’une des pires catastrophes industrielles que le monde ait connue. A l’époque l’écrivain n’avait qu’une dizaine d’années mais l’onde de choc qu’a représenté l’explosion de l’usine d’Union Carbide le 3 décembre 1984 à Bhopal a profondément pénétré la conscience collective indienne.
Le récit commence dans la gare même de Bhopal où, ce 3 décembre précisément la jeune Anjali, attend son mari Prakash qui ne vient pas parce qu’il a tout simplement oublié. C’est à ce moment là que l’air s’empoisonne des rejets chimiques que l’explosion de l’usine vient de répandre dans l’atmosphère de la ville. Les pages qui relatent les premiers instants de la tragédie qui précèdent une indicible panique dans la ville sont terribles, dévastatrices, montrant des habitants pris au piège de leurs poumons et ne trouvant nul part où respirer. L’explosion d’Union Carbide c’est l’équivalent de la première attaque au gaz moutarde le 22 avril 1915 à Ypres. Aucune échappatoire, des hommes faits comme des rats, des morts par milliers, des aveugles, des blessés aux poumons brûlés.
Anjali va survivre avec des séquelles importantes. Elle considère Prakash comme responsable de son destin, s’il avait été là elle aurait échappé à ce triste sort. Elle demande le divorce et se remarie avec Sandeep mais l’enfant qu’ils auront sera lui aussi terriblement handicapé. Des années plus tard Anjali rencontre Prakash par hasard…
Amulya Malladi nous propose un roman qui joue simultanément sur les ressorts dramatiques et humains de cette tragédie. En adoptant la technique du roman choral, offrant à chaque personnage une voix et un ressenti particuliers, l’écrivain nous permet de saisir la complexité d’une situation que personne n’a choisie mais que chacun s’est vu imposer. C’est aussi un très beau roman sur la difficulté du pardon. “Une bouffée d’air pur” un roman qui plonge ses racines au coeur de notre humanité et à ce titre il constitue une belle surprise littéraire.
Appoline SEGRAN (CULTURE-CHRONIQUE.COM)