En cours de chargement...
Une étrange épidémie d'"empoisonnements" s'est répandue dans les Antilles françaises aux XVIIIe et XIXe siècles. Or, ce terme est fréquemment synonyme de "maléfices" tandis que les "empoisonneurs" sont souvent dénoncés comme "sorciers". Les imputations de crime d'empoisonnement participent d'un système de croyances magiques, qui amène les colons à prêter aux "nègres" (sorciers et guérisseurs) une extraordinaire force de nuisance fondée sur une science botanique occulte, associée à d'effrayants pouvoirs.
L'effroi qui saisit les maîtres engendre la terreur contre les esclaves. Exacerbée par l'incapacité de la justice ordinaire à mettre fin au fléau, elle entraîne la création de juridictions spéciales et l'instauration d'un dispositif administratif de répression épouvantable. Face à une mortalité animale ou humaine inhabituelle les colons s'attendent à une accusation d'empoisonnement, la suspicion face à un décès isolé, d'une bête de somme, d'un esclave ou d'un blanc, ne surprenant jamais personne.
Celui qui ne se conforme pas à cette attente s'expose à l'exclusion sociale, voire à la violence coloniale. Lassalle, commandant du quartier de La Trinité à la Martinique, ne craint pas de proclamer, en 1824, qu'il frappera de sa cravache quiconque parlera d'épidémie. C'est en explorant les archives des procès tenus en Guadeloupe et à la Martinique que l'auteure a pu faire la généalogie de cette grande peur et en reconstituer la logique sociale.
La violence que l'analyse du crime d'empoisonnement met en lumière est tout autant la violence subie au quotidien (constituée par les privations continuelles, le travail effectué sous le fouet du commandeur, les châtiments pratiqués de façon habituelle sur les habitations, quatre-piquets, mise aux fers, cachot) que la violence dans ses manifestations les plus cruelles, dont le but immédiat est de montrer aux esclaves que leur sort est entre les mains du maître, qu'aucun autre pouvoir (politique, judiciaire ou religieux) ne peut leur venir en aide.