En cours de chargement...
Que resterait-il de l'actualité s'il n'y avait plus de victimes ? Plus de Tsunami, plus d'affaire d'Outreau, plus d'ours Cannelle... Il suffit de jeter un coup d'oil à la télévision pour s'en rendre compte : du journal télévisé aux émissions de divertissement, partout la souffrance est comme chez elle. Cet engouement pour la compassion n'a pas échappé aux hommes politiques, désormais passés maîtres dans l'art de la condoléance.
Tous savent que l'émotion leur va à merveille. Pourtant, on aurait tort de réduire cette profusion compassionnelle à une simple mode médiatique. Certes, en théorie, la victoire de la victime semble marquer la réalisation de l'idéal démocratique : la lutte pour la reconnaissance. Pourtant, jamais nos sociétés n'ont semblé aussi inégalitaires, individualistes et cruelles. C'est ce paradoxe qu'il faut expliquer : comment la cause de la victime en est venue à servir l'injustice.
Dans nos sociétés compassionnelles, la charité aspire à remplacer la solidarité, l'exception se substitue à la règle et l'émotion prend le pas sur la raison. L'instrumentalisation de la souffrance, ce sont les " pièces jaunes " plutôt que la sécurité sociale, une justice kidnappée par la victime, une rivalité mimétique incessante entre les communautés. Conséquence de la décomposition du marxisme, le parti de la victime sape désormais la cause qu'il prétendait défendre.
Et les intellectuels compassionnels renforcent cette tendance : en distinguant le Bien du Mal, ils multiplient les appels à la guerre ou à la résistance mais ne contribuent plus à rendre notre monde intelligible. Or une société obsédée par la compassion travaille à sa propre perte...
(Cette édition numérique reprend, à l'identique, l'édition originale de 2006.)