Assommons les pauvres !

Avec ce roman très singulier, la littérature pourra à nouveau revendiquer sa place sur n'importe quel sujet de société. La place de celles et de ceux qui, sur les sujets les plus minés de notre société actuelle, comme l'immigration, trouvent encore un biais pour renvoyer tout le monde à son point de vue et redéployer, par les mots et par le style, le débat en le replaçant dans un enclos ou un cirque où mensonge et vérité se disputent une place au soleil au travers d'êtres ballotés par un voyage sans fin et sans retour. "Chacun est un monde en soi. Chacun porte en soi un monde entier, un monde en désordre". Un conte et un récit fascinants !

"Assommons les pauvres" est un texte militant, engagé. On suit l'histoire d'une interprète chargé de traduire les argumentations des demandeurs d'asile auprès des officiers chargés de l'intégration. Avec une belle langue poétique et à travers vingt-deux chapitres plutôt courts, Shumona Sinha nous raconte la souffrance et la misère de ces exilés qui mentent le plus souvent pour être accueilli dans un pays qui leur est étranger ; surtout, et là réside pour moi l'originalité du roman, on sent aussi toute la solitude éprouvée par l'interprète qui est passée de l'autre côté de la barrière, du côté des puissants. Cette dernière doute, éprouve de la culpabilité et un certain malaise ; elle a parfois l’impression de trahir son pays d’origine quand elle regarde ses compatriotes qui s’échinent à passer la frontière. Un beau livre donc, passionnant. Je regrette toutefois quelques passages où l’auteur s’éloigne de la fiction pour énoncer des banalités sur la mondialisation qui tombent souvent à plat.