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Si Les heureux du monde restera un roman à part car c'est grâce à lui que j'ai découvert Edith Wharton, celui-ci est devenu mon préféré. J'ai tout aimé dans ce roman, que ce soit l'opposition entre les portraits des deux cousines, May la conventionnelle et Ellen la fantasque, l'une mondaine, l'autre moins, mais dont la plus forte n'est pas celle qu'on pense, tout simplement parce que l'une bénéficie de l'appui de la "tribu" du Old New-York et pas l'autre. Une opposition qui se traduit par la description du caractère de ces deux femmes bien sûr, mais aussi par les fleurs auxquelles elles sont associées. C'est une autre variation sur le thème du mariage, centrée sur l'homme cette fois, mais ça n'empêche pas Edith Wharton de dénoncer la condition des femmes et la pression que la société exerce sur eux. Les hommes sont moins abîmés dans ce roman qu'ils ne l'étaient dans Les heureux du monde, à part Beaufort qui, comme Trenor dans Les heureux du monde, vient réclamer son dû, ils sont comme les femmes les victimes de la société. Archer Newland est un personnage complexe et attachant, qui défend l'égalité des sexes mais sait qu'il ne prend pas de risques en le faisant puisque l'évolution ne se fera pas de sitôt. La fin que je ne vous révélerai pas et qui a déçu des lecteurs de l'époque me plait beaucoup et montre que l'auteure avait un peu fait la paix avec la société new-yorkaise, et pour cause, on y sent une vraie évolution dans les moeurs en toute fin de roman. N'oublions pas non plus de parler du style de Wharton, il est superbe. Et je suis vraiment tombée amoureuse d'une partie du chapitre 33 de ce roman, que j'étudierais bien avec des élèves (juste cet extrait car le reste serait trop ardu pour eux).
Je diviserai ce roman en deux parties. J'ai beaucoup aimé la première moitié, la description de cette famille un peu givrée mais fort sympathique, avec ces parents dont tout enfant rêve, à la fois aimants mais aussi toujours prêts à faire un bon mot et à plaisanter. La façon dont Joyce Carol Oates dessine les cinq portraits des membres de la famille est fort réussie et on les trouve attachants. Et vient le point culminant du roman, à la fois dans la tension et dans sa réussite, celui où Corinne découvre ce qui est arrivé à sa fille (nous lecteurs sommes au courant dès le début), ne sait pas comment réagir, souffre pour son enfant, préférerais que ce soit une grippe. Et celle où elle l'annonce à Michael et la façon dont il réagit au début. C'est un moment émouvant et je pense qu'aucun parent ne peut rester insensible à cette partie du roman. Et le père pointe du doigt un dysfonctionnement intéressant de la justice quand la victime refuse de témoigner. Malheureusement, je trouve que le roman ne tient pas ses promesses jusqu'au bout et c'est peut-être juste que j'ai un problème avec les familles dysfonctionnelles. Mais je ne regrette pas d'avoir lu ce roman car je l'ai trouvé bien moins glauque que plusieurs des romans de l'auteure que j'avais lus précédemment et ceci malgré le thème. Je trouve juste qu'elle ne gère pas très bien les contre-coups du drame. Par contre, j'ai beaucoup aimé les pages sur la difficulté pour le plus jeune de se retrouver seul à la maison, après le départ des grands
La condition féminine
C'est ici sur le sort que l'on réserve aux femmes artistes qu'elle se penche. Et toute ressemblance avec sa propre histoire ne doit pas être fortuite, surtout quand on sait que dans ce roman, l'artiste en question sera toujours considérée comme la femme de. Harriet Burden est un peintre frustrée qui est persuadée que son manque de reconnaissance vient de la misogynie qui règne dans le milieu artistique new-yorkais. Elle décide donc de convaincre trois artistes hommes de lui servir de prête-nom. C'est en tout cas ce qu'elle prétend car autour d'elle, on la prend plutôt pour une folle qui ne s'était pas remise de la mort de son illustre mari et qui a inventé de toute pièce cette histoire de falsification.
Le roman est multiforme car il se présente à la fois sous forme des carnets d'Harriet, mais aussi de témoignages (de ses enfants, d'artistes, de journalistes). Ce sont les carnets d'Harriet qui sont les plus ardus à lire. Mais la facilité n'est pas ce qu'on recherche dans une oeuvre littéraire. On se perd un peu dans les écrits d'Harriet parce que c'est une personnalité complexe, qui souffre à la fois du manque de reconnaissance des autres mais aussi de ce que son "jeu" se retourne contre elle. Siri Hustvedt sait rendre cette sexagénaire trop grande pour ne pas gêner les autres très touchante notamment quand elle se compare au monstre de Frankenstein mais sans doute encore plus à travers les témoignages que les carnets. Si je n'ai pas aimé chaque page de ce roman, je le trouve globalement réussi, original et truffé de phrases qui à elle seules, méritent la lecture de ce roman et qui sont universelles :
je voulais ma mère, pas ma petite mère mourante à l'hôpital mais la grande, celle de mon enfance, celle qui m'avait portée, bercée, consolée et caressée...