303 Arts Recherches Créations N° 81 Hors-Série

Aliénor d'Aquitaine est, ces jours-ci, à l'honneur. Huit cents ans après sa mort, survenue le 31 mars ou ler avril 1204, elle éveille un intérêt supplémentaire chez le public cultivé, qui ne l'avait pourtant jamais oubliée. Comment méconnaître, en effet, cette femme hors pair, reine de France puis d'Angleterre, active en politique et attentive aux arts visuels et à la littérature, mère de deux rois et grand-mère des gouvernants les plus en vue de l'Occident du XIIIe siècle ? Son rayonnement en Europe et au-delà est, lui aussi, exceptionnel : Aliénor, infatigable, voyage en Terre sainte, en Sicile, en Allemagne, en Castille... Elle traverse d'innombrables fois la Manche et parcourt à cheval l'empire Plantagenêt, des Pyrénées au Yorkshire et de la Bretagne au Limousin. Mais au-delà des vastes espaces qu'elle a traversés plus qu'aucune autre femme au Moyen Age, la reine reste profondément attachée aux pays de la Loire. Elle marie son fils Geoffroi à Nantes, elle réside souvent au château d'Angers et choisit, à la fin de sa vie, de partager l'existence des moniales de Fontevraud, sa dernière demeure. Le gisant superbe qui l'immortalise en ce lieu, un livre d'heures entre les mains, matérialise encore sa présence parmi nous. Européenne et ligérienne, Aliénor est, à plus d'un titre, un symbole, et peut-être même un exemple, des espaces que nous essayons aujourd'hui de retrouver et de recréer. Un ouvrage que nous avons consacré à la reine voudrait présenter sa riche vie et son activité soutenue sous leurs multiples aspects. Les meilleurs spécialistes de son histoire, et plus généralement de l'histoire politique, sociale, artistique et culturelle du XIIe siècle, ont accepté de collaborer à ce volume. Ils sont originaires de pays fort différents : France et Angleterre, comme on pourrait s'y attendre, mais aussi Allemagne, Espagne, États-Unis, Roumaine ou Israël. Ils apportent des regards croisés sur sa féminité et sa maternité (Aliénor a mis au monde au moins onze enfants), sur ses décisions politiques (qui lui valurent une longue captivité), sur son mécénat et son patronage littéraire et musical. Il ne faut cependant pas se tromper. La documentation relative à une dame du XIIe siècle, même aussi en vue et rayonnante qu'Aliénor, ne répondra jamais à toutes nos questions. Ces sources historiques laissent dans l'ombre tout un pan de sa personnalité et de ses gestes. Cette part de mystère explique les interprétations, appropriations, affabulations et fantasmes auxquels la reine a donné lieu, y compris de son vivant. Pour le peintre, l'enlumineur, le maître verrier ou le sculpteur, Aliénor est une icône maintes fois représentée. Pour l'écrivain, la duchesse d'Aquitaine est un personnage de rêve : assumant ses responsabilités politiques et exerçant un pouvoir, elle est, en effet, très tôt accusée d'adultère par des hommes qui supportent mal d'être gouvernés par une femme. Sur ces bases, l'imagination débridée de romanciers, dramaturges et poètes a donné lieu à une légende, souvent noire, que l'historien se devait à tout prix de déconstruire, car elle marque trop profondément l'idée que nous nous faisons d'elle, Aliénor continue, d'ailleurs, de nourrir maintes fictions. C'est pourquoi nous avons demandé à trois historiens médiévistes d'ajouter un conte pour prouver qu'Aliénor hante toujours nos rêves et qu'elle est encore source d'inspiration littéraire : ces courts récits sont certes fictifs, mais ils respectent les sources du XIIe siècle (...) Martin Aurell