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"Mais moi, quand je ferme les yeux, je descends d'abord comme un noyé dans les eaux limoneuses du fleuve Chari, qui trace la frontière entre le Tchad et le Cameroun, où furent jetés tant d'hommes, de femmes et même d'enfants, parfois encore vivants, les mains ligotées dans le dos ou enfermés dans une gibecière. Je sombre avec eux vers le sable et l'argile, au milieu du vert et du brun, croisant des algues violettes, des tessons de poteries et des écailles de crocodile.
Ma tête est plus lourde qu'un boulet et m'entraîne vers les abysses : je plonge dans un sac sans fond où les lettres s'entrechoquent ou s'esquivent, s'appellent ou s'ignorent, je baigne dans un espace illimité soustrait aux contraintes des cycles et des dates, et j'entre dans le temps de l'enfance qui précisément ne connaît pas le temps. Tous mes souvenirs s'envolent dans le vent des sables, le passé coule dans le fleuve, se joue dans les branchages, explose dans les feuillages.
Le passé est tout autour de moi désormais - et je ris quand je dis "le passé", car rien de tout cela n'est passé", Michaël Ferrier.
SCRABBLE....UNE ENFANCE TCHADIENNE
Évocation sensorielle d'une enfance "de sable et de poussière", à croquer le monde et ses vibrations par petits cercles, dans les pas de Saleh, le guide, le grand, au fil du vent qui découvre et agrandit les horizons, "Scrabble" crayonne, épaissit, les paysages fragiles des lisières de l'enfance, fixe les souvenirs comme des lettres sur un carré de bois, dans une langue vibrante et somptueuse, intensément suave et sensuelle.
Michael Ferrier pioche dans les limbes de sa mémoire pour recomposer les fragments d'une enfance enfouie, enfuie dans le sifflement des balles...On est à N’Djamena, Tchad fin 70 et l’innocence du petit "Toumaï", 11 ans s’apprête à se fracasser, dans le chaos d'une guerre civile fratricide.
Si les mots sont salvateur, aussi... Ceux de ce Scrabble en sont un refuge intime, au souffle d'une éclatante beauté !!!