Le peuplement de l'Europe

La démographie s'intéresse tellement au temps qu'elle en oublie l'espace. Elle projette les populations vers de lointains futurs, elle scrute l'âge et le vieillissement des individus, mais elle néglige le territoire qu'ils habitent. Hervé Le Bras tente ici de renverser ce point de vue en laissant le temps à son " inquiet devenir " pour nous immerger dans la paisible coexistence de l'espace selon l'expression de Hegel. Une coexistence moins simple et moins paisible que ne l'imaginait le philosophe. Plus de deux cents cartes du peuplement de l'Europe occidentale au niveau le plus fin le prouvent. La répartition des hommes y déploie la richesse de ses structures qui évoquent tantôt la croissance des formes végétales, leurs nervures et leurs arborescences, tantôt le feuilletage et la géométrie cristalline des minéraux. Ces morphologies subtiles sont le résultat de contraintes politiques de très longue durée. Elles expriment à la perfection la tendance contradictoire des hommes à s'associer et à se fuir pour s'isoler. Aujourd'hui encore le peuplement porte ainsi la trace d'évènements qui se sont déroulés il y a plusieurs siècles, et aujourd'hui encore, il n'a pas eu assez de temps pour s'adapter aux frontières des nations et aux exigences de leurs économies. Cela ne signifie pas pour autant immobilisme, blocage, retour à une théorie du sol ou du climat comme ultime raison de la distribution des populations. Sur le fond immémorial de l'occupation humaine du territoire, une révolution du peuplement est en train de s'accomplir. Elle se manifeste par l'extension presque sans limite des métropoles qui prennent le contrôle de nations entières, les Pays-Bas certes, mais maintenant l'Angleterre, bientôt l'Allemagne et pourquoi pas la France. Cette révolution renforce une supermétropole qui, en épousant la vallée du Rhin de Bâle à la mer du nord, constitue la véritable colonne vertébrale d'une Europe démographique en gestation.