Lait noir m’a d’abord laissée sceptique, par sa forme curieuse et par le fait que ça ne soit pas une autobiographie comme on a l’habitude d’en lire, j’avais l’impression de ne pas rentrer dans l’histoire, de rester sur le bord sans être particulièrement touchée. Je me disais que ça tenait peut-être au fait que je n’étais pas moi-même une mère et que ce livre ne s’adressait qu’aux mamans et celles qui comptaient le devenir dans un avenir proche. De plus la « méthode de lecture » qui précède le texte en lui-même est déstabilisante, « ce livre [ayant] été écrit
pour être oublié sitôt lu ». Elle annonce un livre qui traite de la dépression postnatale, ce qui peut paraître rébarbatif au premier abord, mais cette phase n’apparaît que tardivement dans l’autobiographie, précédée par tous les signes avant coureurs et les causes intimes de la dépression. On a du mal à définir le genre de ce texte, à la fois essai philosophique et conte des Mille et une nuits, c’est somme toute un livre surprenant et agréable.
Je ne pensais pas qu’un tel sujet – fort absent de la littérature que j’ai l’habitude de lire et de la littérature en général – pouvait se révéler si fascinant et prêter au rire et à l’ironie. Parce qu’en fin de compte il se trouve que ce livre, grâce à de nombreuses touches d’humour et de décalage, est amusant tout en faisant réfléchir. Cette dualité entre humour et poésie est toujours présente dans Lait noir, dont le titre énonce déjà le paradoxe oxymorique. La question centrale, l’auteur se la pose dès le début du livre : « Comment concilieras-tu dans une seule constitution – dans un seul corps - dans une seul esprit les antagonismes qui séparent l’écriture et la maternité ? » : le noir de l’encre de l’écrivain et le lait maternel sont ils compatibles ? Peut on encore se consacrer pleinement à une activité telle que l’écriture lorsqu’on devient mère ? Pour répondre à ces questions (qui annoncent à leur façon la dépression postnatale), il faudra à l’évocation des plus grandes auteurs comme Virginia Woolf, Doris Lessing, George Sand, Simone de Beauvoir, Sylvia Plath, Muriel Spark, Jane Austen, ainsi que le dialogue constant avec les voix de son chœur intérieur.
C’est là la plus belle invention d’ Elif Shafak selon moi : elle personnalise les voix contradictoires de sa conscience dans des petites femmes attachantes aux caractéristiques tranchées : Miss Cynique Intello, Miss Ego Ambition, Miss Intelligence Pratique, Dame Derviche, Maman Gâteau et Miss Satin Volupté. Celles-ci vivent en régime qui ne cesse d’être bousculé, du putch à la démocratie, en passant par la monarchie, l’anarchie et le fascisme... Il faudra tout un processus avant qu’elle s’aperçoive que toutes ces femmes font partie d’un tout et qu’il fallait qu’elle les accepte toutes sans distinction pour s’accepter elle-même toute entière. De même elle comprend qu’il n’y a pas de « foncière incompatibilité entre écriture et maternité » et que « maternité et écriture ne sont pas deux pôles opposés. Rien ne nous oblige à trancher. » Ce livre nous invite donc à la réconciliation du corps et de l’esprit et à l’écoute de nous-mêmes.
Pour conclure je dirais que Lait Noir est un livre érudit, sincère et décalé qui déjoue les croyances répandues sur la dépression et nous fait voir les choses autrement, en passant par un univers onirique et fantastique. Il m’a donné envie de me plonger dans les romans cités, ma miss Cynique Intello prenant le dessus, pour un temps…
Un livre "écrit pour être oublié sitôt lu" et pourtant...
Lait noir m’a d’abord laissée sceptique, par sa forme curieuse et par le fait que ça ne soit pas une autobiographie comme on a l’habitude d’en lire, j’avais l’impression de ne pas rentrer dans l’histoire, de rester sur le bord sans être particulièrement touchée. Je me disais que ça tenait peut-être au fait que je n’étais pas moi-même une mère et que ce livre ne s’adressait qu’aux mamans et celles qui comptaient le devenir dans un avenir proche. De plus la « méthode de lecture » qui précède le texte en lui-même est déstabilisante, « ce livre [ayant] été écrit pour être oublié sitôt lu ». Elle annonce un livre qui traite de la dépression postnatale, ce qui peut paraître rébarbatif au premier abord, mais cette phase n’apparaît que tardivement dans l’autobiographie, précédée par tous les signes avant coureurs et les causes intimes de la dépression. On a du mal à définir le genre de ce texte, à la fois essai philosophique et conte des Mille et une nuits, c’est somme toute un livre surprenant et agréable.
Je ne pensais pas qu’un tel sujet – fort absent de la littérature que j’ai l’habitude de lire et de la littérature en général – pouvait se révéler si fascinant et prêter au rire et à l’ironie. Parce qu’en fin de compte il se trouve que ce livre, grâce à de nombreuses touches d’humour et de décalage, est amusant tout en faisant réfléchir. Cette dualité entre humour et poésie est toujours présente dans Lait noir, dont le titre énonce déjà le paradoxe oxymorique. La question centrale, l’auteur se la pose dès le début du livre : « Comment concilieras-tu dans une seule constitution – dans un seul corps - dans une seul esprit les antagonismes qui séparent l’écriture et la maternité ? » : le noir de l’encre de l’écrivain et le lait maternel sont ils compatibles ? Peut on encore se consacrer pleinement à une activité telle que l’écriture lorsqu’on devient mère ? Pour répondre à ces questions (qui annoncent à leur façon la dépression postnatale), il faudra à l’évocation des plus grandes auteurs comme Virginia Woolf, Doris Lessing, George Sand, Simone de Beauvoir, Sylvia Plath, Muriel Spark, Jane Austen, ainsi que le dialogue constant avec les voix de son chœur intérieur.
C’est là la plus belle invention d’ Elif Shafak selon moi : elle personnalise les voix contradictoires de sa conscience dans des petites femmes attachantes aux caractéristiques tranchées : Miss Cynique Intello, Miss Ego Ambition, Miss Intelligence Pratique, Dame Derviche, Maman Gâteau et Miss Satin Volupté. Celles-ci vivent en régime qui ne cesse d’être bousculé, du putch à la démocratie, en passant par la monarchie, l’anarchie et le fascisme... Il faudra tout un processus avant qu’elle s’aperçoive que toutes ces femmes font partie d’un tout et qu’il fallait qu’elle les accepte toutes sans distinction pour s’accepter elle-même toute entière. De même elle comprend qu’il n’y a pas de « foncière incompatibilité entre écriture et maternité » et que « maternité et écriture ne sont pas deux pôles opposés. Rien ne nous oblige à trancher. » Ce livre nous invite donc à la réconciliation du corps et de l’esprit et à l’écoute de nous-mêmes.
Pour conclure je dirais que Lait Noir est un livre érudit, sincère et décalé qui déjoue les croyances répandues sur la dépression et nous fait voir les choses autrement, en passant par un univers onirique et fantastique. Il m’a donné envie de me plonger dans les romans cités, ma miss Cynique Intello prenant le dessus, pour un temps…