Les photographies réalisées sa vie durant par Vivian Maier, Américaine d’origine française et autrichienne née en 1926, n’ont été découvertes qu’après sa mort, tout à fait par hasard. Désormais au panthéon des plus grands photographes de son siècle, cette gouvernante d’enfants issue d’un milieu modeste, voire misérable, grandie sans amour auprès d’une mère dysfonctionnelle, mena une existence solitaire et étrangement libre pour l’époque, centrée sur l’obsession de sa collection d’images qu’elle n’a jamais cherché à faire connaître, qu’elle n’a parfois
même jamais vues elle-même, faute de moyens suffisants pour développer ses plaques et pellicules. Elle a laissé la trace de son regard sur le monde et sur elle-même, au travers de scènes de rues croquées sur le vif où elle s’intéresse aux failles de ses sujets, souvent marginaux et laissés-pour-compte, et d’auto-portraits sans coquetterie où elle ne se profile que sous la forme d’ombres ou de reflets. Son personnage reste un mystère, que Gaëlle Josse tente d’approcher au travers de son histoire, étonnante à plus d’un titre, et qu’elle nous restitue fidèlement, avec sensibilité et élégance.
Ce qui frappe chez Vivian Maier est sa volonté de ne pas exister et de s’effacer, qui la fait se transformer en témoin quasi invisible, en regard qui traverse le monde sans se donner le droit d’y laisser sa marque ni d’y devenir quelqu’un : dans ses images d’êtres souvent misérables et marqués par la vie, ces invisibles anonymes qui la fascinent, on est tenté de voir une projection d’elle-même, elle qui assiste au naufrage de ses proches dans le dénuement, la violence, les addictions et la folie, et qui, privée d’amour dans une famille où chaque naissance engendre honte et rejet, ne se reconnaît aucune valeur et préfère se faire discrète pour moins souffrir.
Au fur et à mesure que l’on devine les failles de la personnalité de Vivian, que certains témoignages viennent même teinter d’une suspicion de pathologie quasi psychiatrique, l’on perçoit aussi l’importance vitale qu’a pu revêtir pour elle la prise quotidienne d’images. Loin d’un hobby, la photographie est chez elle un acte salvateur, un moyen qui lui permet sans doute, inconsciemment, d’exprimer et de mettre à distance sa souffrance, de vivre sous la protection de reflets qui la dévoilent et la masquent en même temps. L’appareil-photo de Vivian devient une sorte d’instrument de camouflage, qui en la transformant en miroir réfléchissant, lui permet d’exister au travers de ses sujets, sécurisée par son invisibilité.
L’on ne peut désormais plus que s’émouvoir de la trace fantomatique laissée par cette artiste, et frémir à l’idée que son œuvre aurait bien pu disparaître corps et bien avec elle.
Gaëlle Josse a donné à son récit un équilibre parfait : sans ajouter aux prédispositions romanesques de cette biographie, avec fidélité, sobriété et discrétion, elle réussit à faire revivre cette femme et son histoire de façon crédible et vivante, dans un style élégant, sensible et soigné qui hypnotise de la première à la dernière ligne. Il ne reste plus ensuite qu’à courir découvrir les clichés de Vivian Maier, et à éternellement s’interroger sur la manière dont elle aurait considéré sa notoriété posthume. Coup de coeur.
Reconnaissance posthume
Artiste unique,Vivian Maier prend vie et âme sous la plume sensible de Gaëlle Josse.Issue d'une famille aux relations complexes,élevée entre les Etats-Unis et la France,cette nurse ne quittait jamais son appareil photo,immortalisant des scènes d'après-guerre,des ouvriers,des miséreux.Des clichés pris sur le vif,plein de vie,d'humanité mais aussi mélancoliques.
Décédée à Chicago en 2009 dans l'anonymat le plus total,celle qui n'a jamais tiré profit de son talent bénéficie de nombreuses expositions à travers le monde et d'un documentaire initié par celui qui l'a découverte.Bel hommage délicat et mérité!