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Stendhal (1783-1842)
"À peine âgé de vingt ans, Octave venait de sortir de l'École Polytechnique. Son père, le marquis de Malivert, souhaita retenir son fils unique à Paris. Une fois qu'Octave se fut assuré que tel était le désir constant d'un père qu'il respectait et de sa mère qu'il aimait avec une sorte de passion, il renonça au projet d'entrer dans l'artillerie. Il aurait voulu passer quelques années dans un régiment, et ensuite donner sa démission jusqu'à la première guerre qu'il lui était assez égal de faire comme lieutenant ou avec le grade de colonel.
C'est un exemple des singularités qui le rendaient odieux aux hommes vulgaires.
Beaucoup d'esprit, une taille élevée, des manières nobles, de grands yeux noirs les plus beaux du monde auraient marqué la place d'Octave parmi les jeunes gens les plus distingués de la société, si quelque chose de sombre, empreint dans ces yeux si doux, n'eût porté à le plaindre plus qu'à l'envier. Il eût fait sensation s'il eût désiré parler ; mais Octave ne désirait rien, rien ne semblait lui causer ni peine ni plaisir.
Fort souvent malade durant sa première jeunesse, depuis qu'il avait recouvré des forces et de la santé, on l'avait toujours vu se soumettre sans balancer à ce qui lui semblait prescrit par le devoir ; mais on eût dit que si le devoir n'avait pas élevé la voix, il n'y eût pas eu chez lui de motif pour agir. Peut-être quelque principe singulier, profondément empreint dans ce jeune cour, et qui se trouvait en contradiction avec les événements de la vie réelle, tels qu'il les voyait se développer autour de lui, le portait-il à se peindre sous des images trop sombres, et sa vie à venir et ses rapports avec les hommes.
Quelle que fût la cause de sa profonde mélancolie, Octave semblait misanthrope avant l'âge. Le commandeur de Soubirane, son oncle, dit un jour devant lui qu'il était effrayé de ce caractère.!"
Octave de Malibert, tout juste sorti de Polytechnique, est amoureux d'Armance de Zohiloff, mais il refuse cet amour : Octave semble cacher un lourd secret qui le rend mélancolique et taciturne...
Romantique et énigmatique
C'est un premier roman, représentatif de l’œuvre à venir, et donc à conseiller aux jeunes lecteurs qui seraient intéressé par la lecture d'un roman appartenant du courant romantique, mais rebuté par la taille imposante de la Chartreuse de Parme ou du Rouge et le noir. Il se passe durant la Restauration et fourmille de détails historiques sur cette période, on y retrouve des thèmes typiques de l’œuvre de Stendhal, l'ambition et le mal être du personnage d'Octave, les intrigues de Salon, la force et la pureté d'un amour presque désincarné. Au niveau du style, Stendhal se cherche encore, mais pratique déjà cette ironie de la distance avec son lecteur où l'on voit le narrateur qui commente sa propre intrigue. C'est aussi un roman à clefs, un peu cryptique, mais parlant en filigrane de l'impuissance du personnage principal et donc d'amour platonique. Il aborde aussi un thème récurant : Comment l'amour peut-il résister à l'usure du temps, un amour total, dépouillé de toute désir charnel est-il possible et même souhaitable pour sa propre survie ? Comment éviter de goûter trop rapidement à ce « fruit plein de cendre amère » dont parle André Gide ? La force de l'écriture du roman est de faire silence sur le mal dont souffre Octave, cette sublimation enclose dans le désir d'écrire dévoile dans le même temps l'impossibilité d'effacer en totalité un désir qui reste là, ancré, bruissant entre chaque phrases du texte. Je me souviens aussi, pour avoir lu ce roman en pleine adolescence, y voir exprimer tous les affres dont on peut souffrir dans ce temps des métamorphoses, une certaine connivence, une complicité qui ne s'est jamais éteinte. Et cela m'a surtout donner envie de lire d'autres textes de Stendhal depuis.