Le pauvre homme du Toggenbourg - Poche

Chevrier, tisserand, mercenaire, Ulrich Bräker, hors des chemins habituels de la littérature en lettres majuscules, nous aura laissé un des livres les plus sûrement préservés de l'oubli dans les temps à venir. Et n'est-ce pas étrange ? Qui peut affirmer avoir lu les Idylles de Gessner si prisées au XVIIIe siècle ou encore ce marmoréen poème de von Haller, Les Alpes, qui impressionna si fort les contemporains qu'ils le traduisirent en latin ? Personne, excepté quelques méritants érudits. Tandis que le modeste Bräker affiche, lui, une popularité qui n'est pas sans rappeler le milieu fruste d'où il émerge. Et représente une revanche éclatante de ce monde paysan soumis à toutes les servitudes. Siècle des lumières, dit-on, mais parfois singulièrement tamisées. Etre soldat sous Frédéric Il peut paraître glorieux. Le bon Uli se charge, sans haine ni malice, d'en débusquer l'horreur journalière. Le charme inusité qui émane de ce petit trésor de littérature transparente procède pour une bonne part de cette approche simple et directe d'une réalité sans fards. Comme dans Ma Vie, du grand Platter, mais deux siècles plus lard, nous voici sur les chemins d'une Europe oubliée. Nous entrons dans les auberges, mangeons le pain vagabond, nous faisons recruter malgré nous et désertons de l'armée prussienne. Quelle extraordinaire sensation de se retrouver immergés dans un autre temps, serviteurs de maîtres inconnus, aventuriers par duperies incessantes. Et quelle irremplaçable leçon d'histoire ! Non par un maître, mais par un ami, un complice, un intime, un semblable, un simple, un bon, un vrai. Avec ce charme involontaire lié, sans doute, à une fraîcheur d'esprit, dont on peut craindre qu'elle soit morte aux aurores de la révolution industrielle. Décidément, un petit livre bien rare, bien unique, bien précieux !