Dans l'intimité des maîtres

Né à Vienne en 1927, le pianiste à la double ascendance morave et hongroise, ne semble pas soumis à la même loi impitoyable du temps qui passe que nous autres mortels : 86 ans à l’heure de ces entretiens, il a le verbe vif de ceux qui sont nés sous le signe de la passion et les idées claires comme au premier jour, généreusement étoffés d’une expérience de vie exceptionnelle sur laquelle planent en lettres d’or des noms aussi mythiques que ceux de Wilhelm Furtwängler ou d’Edwin Fischer, son mentor, ainsi qu’une très longue liste de pays, témoin de l’ouverture d’esprit sans limite de ce pianiste et musicologue qui fut en 1979 le premier occidental à être invité en Chine après la Révolution culturelle.
Paul Badura-Skoda est aussi un grand pédagogue et il a consacré un livre entier à l’art de jouer Mozart au piano, Mozart dont il fut un grand serviteur (innombrables enregistrements). Notre musicien partage son temps entre Vienne, la région parisienne et le monde qu’il continue de sillonner au rythme des tournées de concerts et d’engagements divers. Histoire, musiciens passés et présents, composition, il est l’auteur de fort belles pages et le dédicataire de deux opus de Frank Martin, édition, enregistrement, sa discographie, qui prend sa source dans les années héroïques du microsillon longue durée, totalise plus de deux cents titres dont plusieurs intégrales, sa collection de claviers anciens est l’une des plus riches de la planète (sa relation au piano forte est historique), la transmission trône au coeur de sa démarche artistique, avenir de la musique : Paul Badura-Skoda se livre au travers de ces entretiens à un dialogue à coeur ouvert, dont la transposition sur papier ne se veut pas un testament, mais un point d’orgue seulement dans une partition monumentale dont la dernière mesure est loin d’avoir sonné.
Un intense et fragile moment d’éternité volé à la course inexorable du temps, et Dieu sait si celui de l’artiste est d’une rare densité.